Schizophrénie : quelle place pour des thérapies cognitives et comportementales spécialisées ?
À l’image des thérapies cognitives et comportementales (TCC) appliquées à la psychose, des psychothérapies spécialisées et validées scientifiquement ont un rôle à jouer pour accompagner les personnes qui souffrent de schizophrénie, en complément d’autres formes de prise en charge. Les TCC mettent l’accent sur la qualité de vie, l’autonomie et les projets personnels, au-delà de la seule stabilisation clinique.
Lorsque Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, alerte, le 26 mars 2025, sur les insuffisances de la prise en charge des troubles psychiatriques sévères en France, ses propos doivent être replacés dans le contexte des connaissances actuelles.
Revenir sur les données scientifiques disponibles concernant l’efficacité des psychothérapies permet de mieux comprendre les enjeux cliniques et les recommandations fondées sur les preuves, notamment pour les troubles du spectre de la schizophrénie.
Que sait-on aujourd’hui de la schizophrénie ?
La schizophrénie figure parmi les dix principales causes de handicap dans le monde. Elle touche environ 1 % de la population mondiale, soit près de 600 000 personnes en France, et débute généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.
Les symptômes incluent des délires et des hallucinations (symptômes dits « psychotiques »), une réduction de l’expression émotionnelle, une pauvreté du langage et un manque d’initiatives (appelés « symptômes négatifs »), ainsi qu’un discours incohérent et des comportements désorganisés (symptômes dits « désorganisés »).
Les causes de la schizophrénie restent mal comprises, mais les chercheurs s’accordent sur le fait que ce trouble survient sous l’influence conjointe de facteurs génétiques et environnementaux. Sa manifestation est très variable, d’où l’importance d’une approche personnalisée, fondée sur une compréhension de ses mécanismes biologiques, psychologiques et sociaux.
Des psychothérapies spécialisées, mais pas que…
En tant que psychologue clinicienne et chercheuse, je consacre une partie de ma carrière à élucider les mécanismes psychologiques de la schizophrénie et à améliorer la vie des personnes concernées. Dans ce contexte, je me réjouis de la reconnaissance croissante du rôle des psychothérapies.
Encore faut-il que celles-ci soient empiriquement fondées, c’est-à-dire validées par la recherche, et qu’elles s’appuient sur une compréhension fine des processus psychologiques en jeu, comme la confiance en soi, la rumination (pensées récurrentes et répétitives, que l’on a du mal à contrôler, centrées sur l’évaluation des raisons, causes, conséquences et implications de la situation, sur le « pourquoi ? »), etc.
Bien évidemment, ces psychothérapies doivent être envisagées en complémentarité avec d’autres modalités de prise en charge, qu’il s’agisse du traitement médicamenteux, de la remédiation cognitive (une forme de thérapie qui consiste à s’entraîner pour améliorer certaines fonctions, ndlr), de la pair-aidance (le fait d’être soutenu par des pairs ayant une expérience similaire, ndlr) ou d’autres interventions visant la réhabilitation psychosociale, lorsque cela s’avère nécessaire.
Des programmes efficaces… mais peu accessibles
Pendant longtemps, l’accompagnement de la schizophrénie a été centré sur la réduction des symptômes, le plus souvent au travers d’un traitement exclusivement médicamenteux.
Aujourd’hui, une approche plus globale, tournée vers la réhabilitation psychosociale, émerge. Celle-ci met l’accent sur la qualité de vie, l’autonomie et les projets personnels, au-delà de la seule stabilisation clinique.
Parmi les outils disponibles, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) occupent une place importante. Elles reposent sur l’idée que nos interprétations des événements, façonnées au fil de la vie, peuvent engendrer ou entretenir de la souffrance psychique.
Les TCC s’inscrivent dans une démarche collaborative qui vise à aider les personnes à développer une manière plus souple de comprendre leur environnement et leurs émotions, à ajuster leurs comportements et, ainsi, à les accompagner dans la réalisation de leurs projets de vie.
Dans le cadre de la psychose, contrairement à une idée reçue, elles ne cherchent pas à nier les expériences psychotiques, mais à aider la personne à en faire sens, à y répondre autrement, et à reprendre du pouvoir sur sa vie. Cependant, l’accès à ces thérapies reste très limité, y compris en France.
Les données manquent, mais, dans des pays mieux dotés (comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni), les résultats concernant l’accessibilité à la TCC pour la psychose – qu’il s’agisse de la formation des professionnels, de l’implémentation des dispositifs ou de l’accès effectif aux soins – demeurent peu encourageants.
Les thérapies cognitives et comportementales sont-elles adaptées à la schizophrénie ?
La TCC a été appliquée à la psychose (TCCp) pour la première fois en 1952 par Aaron Beck. Cependant, ce n’est que dans les années 1990 que des approches plus systématiques et théorisées pour la psychose ont émergé. Longtemps, les symptômes psychotiques étaient considérés comme inchangeables.
Or, la recherche a montré qu’ils s’inscrivent sur un continuum avec les expériences humaines ordinaires, et qu’ils peuvent être modifiés. Aujourd’hui, les modèles issus des TCC appliquées à la psychose postulent, par exemple, que des événements de vie précoces négatifs peuvent contribuer à la formation de croyances rigides sur soi et le monde, qui, sous stress, peuvent s’exprimer par des symptômes psychotiques.
Des recherches solides montrent que les TCCp sont efficaces, notamment pour réduire les symptômes psychotiques et négatifs. Ces effets sont plus marqués avec des suivis prolongés, mais certaines interventions brèves peuvent aussi être bénéfiques.
Surtout, l’intensité des symptômes ne semble pas diminuer l’efficacité de la thérapie, ce qui suggère que même les personnes les plus touchées peuvent en bénéficier. Certaines approches ont même montré leur utilité chez des patients avec de lourds troubles cognitifs.
Au-delà des symptômes, les TCCp améliorent aussi la qualité de vie et le fonctionnement social. Des interventions destinées aux familles ont également montré des effets positifs. Toutefois, ces effets sont souvent limités dans le temps, d’où le développement de nouvelles approches intégrant la régulation émotionnelle, les troubles du sommeil, ou encore les traumatismes.
Certaines recommandations internationales, comme celles du National Institute for Clinical Excellence (NICE) au Royaume-Uni, considèrent aujourd’hui les TCC comme traitement de première intention pour la schizophrénie.
À noter qu’à ce jour, la France ne dispose pas de lignes directrices équivalentes à celles publiées au Royaume-Uni en ce qui concerne les psychothérapies et les autres modalités de prise en charge non médicamenteuse de la schizophrénie.
À l’étranger, quelques programmes ont fait leurs preuves
Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques programmes récents ayant démontré leur efficacité et susceptibles d’être intégrés dans le système de soins.
En 2021, Daniel Freeman et ses collègues de l’Université d’Oxford ont démontré que le programme « Feeling Safe » (en français, « Se sentir en sécurité ») est efficace pour traiter les idées délirantes de persécution (qui concernent environ 80 % des personnes atteintes de schizophrénie).
Ce programme agit sur les ruminations, les difficultés de sommeil, l’estime de soi, la relation avec les hallucinations, et favorise des apprentissages nouveaux. Il a permis un taux de rétablissement d’environ 50 %.
Mark Hayward et ses collègues de l’Université de Sussex ont proposé un programme spécifique pour l’accompagnement des personnes qui ont des hallucinations auditives verbales (les voix), utilisé dans les « Voices Clinics » (en français, « cliniques des voix »). Ce programme vise à développer des stratégies d’adaptation, remettre en question certaines croyances (« les voix sont méchantes »), favoriser la flexibilité cognitive, et renforcer les compétences d’affirmation de soi. Il est à noter que deux cliniques des voix existent en France.
Enfin, le programme de TCC centré sur le rétablissement, d’Aaron Beck, d’une durée de dix-huit mois, a montré une amélioration du fonctionnement et de la symptomatologie chez des personnes atteintes de schizophrénie avec déficits cognitifs. Il vise l’accompagnement vers la réalisation de projets personnels à l’aide des outils TCC.
Où en est-on en France ?
Nous manquons de données précises sur l’accès aux thérapies cognitives et comportementales appliquées à la psychose (TCCp) en France, mais les signaux disponibles suggèrent un accès très limité.
Plusieurs freins sont identifiables : la formation aux TCC reste inégalement répartie entre universités ; les psychologues formés à ces approches sont trop peu nombreux dans les structures publiques ; et l’accès au secteur libéral est souvent freiné par des contraintes financières, notamment pour les personnes en situation de handicap psychique.
Pour des approches spécialisées et validées scientifiquement
La prise en charge de la schizophrénie est complexe et multifactorielle. La volonté politique d’investir dans les psychothérapies est une avancée bienvenue.
Mais pour qu’elle ait un réel impact, il est essentiel que les approches proposées soient spécialisées, validées scientifiquement et ancrées dans une perspective de réhabilitation psychosociale.
Je suis membre de l’Association PPSY PROMOUVOIR LES PSYCHOTHERAPIES qui organise des formations en France portant sur le programme « Feeling Safe » décrit dans l’article.
Auteur : Catherine Bortolon, Psychologie Clinique ; Schizophrénie ; Thérapies cognitives et comportementales ; régulation émotionnelle ; hallucinations ; délires , Université Grenoble Alpes (UGA)
Aller à la source