Sept leçons à tirer d’expériences étrangères en matière de transparence salariale
La transparence salariale devrait bientôt être adoptée en France, à la suite de l’adoption d’une directive européenne, qui sera désormais transposée. Une concertation a lieu sur le sujet. Quels résultats peut-on en attendre ? À quelles conditions peut-elle être efficace ? Les exemples étrangers de telles pratiques livrent leur enseignement. Oui, la transparence salariale peut réduire les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, mais avoir aussi des effets plus inattendus.
Le gouvernement vient d’engager une concertation avec les partenaires sociaux sur la transposition de la directive européenne sur la transparence salariale. Depuis les années 2000, une trentaine de pays, dont les deux tiers des membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont déjà mis en place des mesures en faveur de la transparence salariale. Quels enseignements en tirer ? Est-ce un moyen efficace pour réduire les écarts salariaux entre les femmes et les hommes ?
Trois grands types de transparence salariale
Le premier enseignement est qu’il faut distinguer trois types de transparence salariale :
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la transparence horizontale permet de savoir comment se situe son salaire par rapport à ceux de ses collègues effectuant un travail similaire ;
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la transparence verticale permet de connaître le niveau de rémunération de ses collègues occupant d’autres niveaux hiérarchiques que soi ;
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la transparence interentreprise permet de savoir comment se situe son salaire par rapport à ceux de confrères occupant un poste similaire chez un autre employeur.
Cette distinction est fondamentale car ces trois types de transparence reposent sur des logiques différentes et ne produisent pas les mêmes effets.
Une pratique dominante
Le deuxième enseignement est que la plupart des pays ont privilégié des mesures de transparence horizontale. Leur objectif est de réduire les écarts salariaux entre les sexes selon la logique suivante :
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la visibilisation de ces écarts devrait pousser les employeurs à les réduire pour préserver leur réputation ;
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les organisations syndicales devraient plus intégrer cette dimension dans les négociations salariales ;
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les cas de discrimination devraient être ainsi plus faciles à démontrer ;
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l’écart genré de demande (ou gender ask gap), c’est-à-dire la tendance des femmes à demander des salaires moins élevés que les hommes, devrait disparaître grâce à une meilleure connaissance des salaires de ses collègues.
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La transparence produit des résultats
Le troisième enseignement réside dans le fait que plusieurs études ont montré que la transparence horizontale contribue effectivement à la réduction des écarts salariaux entre les sexes.
Au Royaume-Uni, depuis que les entreprises de plus de 250 salariés doivent publier les écarts de rémunération entre les sexes, ceux-là ont diminué de 19 %. Ce sont les entreprises les plus exposées médiatiquement et celles où l’écart était initialement le plus élevé qui ont le plus réduit ces écarts. En outre, les entreprises recherchent davantage de candidates pour les postes où il existe un fort écart de salaires et où le plafond de verre se fissure : les femmes sont plus nombreuses à occuper un poste offrant un salaire supérieur au salaire médian.
La tendance est la même au Danemark depuis que les entreprises de plus de 35 salariés doivent indiquer les salaires moyens par sexe et par profession. L’écart entre les femmes et les hommes a diminué de 13 %. Cette réduction est encore plus forte quand les managers masculins encadrent plus de femmes que d’hommes. De plus, les entreprises danoises ont augmenté à la fois le nombre de femmes promues en interne et le nombre de celles recrutées en externe.
L’importance de l’existence de sanction
Un quatrième enseignement est que, sans pression financière et médiatique, ces politiques de transparence salariale horizontale sont sans effet.
Le cas de l’Autriche l’illustre. Une loi a certes obligé les entreprises autrichiennes à publier des rapports internes d’écarts salariaux entre les sexes. Toutefois, elle n’a débouché sur aucun résultat tangible, car ces rapports sont restés confidentiels et parce qu’il n’y avait pas de sanction prévue en cas d’écarts salariaux importants.
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Un impact négatif sur les augmentations individuelles
Le cinquième enseignement est que la transparence horizontale débouche sur une modération salariale, car les salariés sont paradoxalement moins en position de force pour réclamer une augmentation. En effet, si un salarié obtient une augmentation individuelle, son employeur risque de voir ses collègues réclamer eux aussi une augmentation identique. L’employeur réfléchit donc à deux fois avant d’accorder une augmentation individuelle.
Au Royaume-Uni et au Danemark, la baisse de l’écart salarial s’explique avant tout par un ralentissement de la progression salariale des hommes ; il n’y a pas eu de rattrapage salarial général pour les femmes.
Cette modération salariale est, toutefois, atténuée en présence de syndicats suffisamment puissants pour négocier des augmentations générales. La transparence horizontale peut aussi engendrer une baisse de la productivité. En effet, les salariés qui prennent conscience qu’ils sont moins bien rémunérés que leurs collègues exerçant un travail similaire peuvent réagir par de la frustration et un moindre engagement au travail, surtout si cet écart leur semble injustifié.
C’est ainsi qu’au Danemark, les entreprises concernées par la transparence salariale ont vu leurs salaires moyens et leur productivité reculer par rapport aux entreprises non concernées. Avec la modération salariale, d’un côté, et la baisse de productivité, de l’autre, la rentabilité des entreprises danoises est toutefois restée stable.
Les effets motivants de la transparence verticale
La sixième leçon des travaux de recherche sur la transparence salariale est que la transparence verticale (connaître les salaires de collègues qui occupent un autre niveau) a un effet positif sur la motivation et la productivité des salariés. Ceux-ci découvrent, en effet, le niveau de rémunération qu’ils auraient s’ils occupaient un poste plus élevé dans la hiérarchie.
Comme les salariés ont tendance à sous-estimer la rémunération de leur patron, la connaître représente une incitation à travailler dur pour obtenir une promotion. La perception du caractère méritocratique de l’entreprise entre toutefois en compte : si la promotion dépend d’autres critères que la performance, la transparence verticale aura, au contraire, un effet démobilisant.
L’impact de la transparence interentreprises sur le marché du travail
Enfin, la transparence interentreprise, notamment par l’indication des rémunérations proposées sur les offres d’emploi, entraîne une hausse des candidatures auprès des entreprises plus généreuses, en particulier de la part de salariés moins bien rémunérés que la moyenne. Cette transparence s’avère favorable à l’égalité salariale entre les sexes.
Par exemple, la connaissance du salaire médian d’un emploi conduit les femmes à demander et à obtenir des salaires identiques à celui des hommes. En outre, ce type de transparence pousse les entreprises moins généreuses à engager des négociations salariales favorables aux salariés. La transparence interentreprise débouche ainsi sur une hausse des salaires.
Au cours des prochaines semaines de concertation pour transposer dans le droit français la directive européenne sur la transparence salariale, le gouvernement et les partenaires sociaux ont tout intérêt à s’inspirer de ces diverses expériences. Il leur faudra notamment réfléchir aux types de transparence qu’ils souhaitent encourager, sachant que la directive européenne promeut avant tout la transparence horizontale dont on connaît aujourd’hui les avantages et les limites.
Denis Monneuse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Denis Monneuse, Researcher in HRM, ethics, and management, EDHEC Business School
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