Services à la personne : le CESU préfinancé a-t-il tenu ses promesses ? Bilan vingt ans après la loi Borloo
Le chèque emploi-service universel préfinancé a 20 ans. Si c’est l’âge de tous les possibles pour un être humain, qu’en est-il pour cet outil qu’on avait paré de tous les avantages ? S’il a contribué au développement des services à la personne, ce ne sont pas forcément les publics initialement visés qui ont été les plus touchés. De l’urgence d’améliorer le dispositif.
Créé dans le sillage de la loi Borloo de juillet 2005, le chèque emploi-service universel (CESU) préfinancé devait s’inscrire dans une volonté affirmée de structurer, de développer et de formaliser le secteur des services à la personne, alors encore largement informel.
Vingt ans plus tard, l’heure est au bilan. Le dispositif fonctionne, certes, mais il semble bénéficier surtout à des populations relativement aisées, bien loin des publics qu’il prétendait initialement cibler et soutenir.
Une innovation sociale au départ prometteuse
Dès son origine, le CESU préfinancé ambitionnait de répondre à plusieurs objectifs, sociaux et économiques :
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simplifier l’emploi à domicile pour les particuliers-employeurs,
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encourager les entreprises à soutenir leurs salariés dans leur vie quotidienne,
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et améliorer l’accompagnement des personnes âgées ou en perte d’autonomie.
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Concrètement, le CESU préfinancé se décline sous deux formes :
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Le CESU RH, proposé par les employeurs (qu’ils soient privés ou publics) comme avantage social exonéré de charges fiscales jusqu’à 2 540 € par an. Il est considéré comme un outil de fidélisation, de pouvoir d’achat et de bien-être salarié.
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Le CESU social, distribué par des financeurs de prestations sociales comme, notamment, les conseils départementaux pour financer des prestations telles que l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) ou la PCH (prestation de compensation du handicap). Il vise surtout un public en situation de fragilité ou de dépendance.
Ce titre spécial de paiement permet de payer un organisme de services à la personne ou de rémunérer un salarié à domicile, et ainsi de financer une vingtaine d’activités de services à la personne : garde d’enfants, soutien scolaire, entretien de la maison et travaux ménagers, aide aux personnes âgées ou en situation de handicap… Un éventail particulièrement large qui, en théorie, peut bénéficier à toutes les catégories de population.
Une montée en puissance… à géométrie variable
En 2023, selon les chiffres de l’Association professionnelle des émetteurs de CESU (Apecesu), 864 millions d’euros de CESU préfinancés ont été émis en France. Ce montant, bien qu’en apparence significatif, reste relativement modeste en comparaison des 24 milliards d’euros que représente aujourd’hui le marché des services à la personne (contre 11 milliards en 2005, soit un peu plus du double en vingt ans). Cela montre une montée en puissance du secteur dans son ensemble, mais un usage du CESU préfinancé encore marginal au regard de son potentiel.
Le décalage est particulièrement frappant si l’on examine plus finement la répartition des usages et des bénéficiaires. Le CESU RH, représentant à lui seul 442 millions d’euros en 2023, est massivement utilisé par une population à revenus élevés, travaillant le plus souvent dans de grandes entreprises.
Selon une étude Harris Interactive en 2021 :
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40 % des utilisateurs de CESU RH appartiennent aux CSP+ (revenus supérieurs à 4 000 € net/mois) ;
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52 % travaillent dans des entreprises de plus de 5 000 salariés ;
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67 % l’utilisent pour des prestations dites de confort (ménage, repassage, jardinage…), plus que pour de la garde d’enfants (seulement 44 %) ;
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et le montant moyen annuel perçu n’est que de 1 100 €, ce qui, dans les faits, représente une aide ponctuelle et souvent insuffisante pour couvrir un réel besoin hebdomadaire.
Quant au CESU social, il est en net recul : de 613 millions d’euros en 2020 à 422 millions en 2023. En cause, le choix de nombreux conseils départementaux de recourir à des modes de versement des aides jugés plus souples et simples à gérer, comme le virement bancaire.
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Une opportunité manquée… ou encore à saisir
L’analyse des données disponibles révèle un paradoxe. Le CESU préfinancé, imaginé comme un instrument d’égalité, de simplification administrative et de soutien au pouvoir d’achat, s’est transformé – dans sa version RH – en avantage social principalement utilisé par les salariés les mieux rémunérés. En pratique, ce sont donc ceux qui auraient le moins besoin d’un soutien financier qui en bénéficient le plus.
Cette situation pose la question de l’équité d’un dispositif financé en partie par la puissance publique (par l’intermédiaire des exonérations sociales et fiscales), mais dont la portée sociale reste limitée. Elle interroge aussi sur l’efficacité des politiques publiques à atteindre les cibles qu’elles se fixent.
Une demi-réussite
Le CESU préfinancé fête ses 20 ans dans une forme de demi-réussite : bien conçu, bien encadré, mais mal orienté. Il est peut-être temps de corriger la trajectoire, pour qu’il ne devienne pas simplement un énième avantage social réservé aux plus favorisés, mais qu’il redevienne ce pour quoi il a été pensé : un outil au service du plus grand nombre. Cela impliquera par exemple de :
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revaloriser le CESU préfinancé dans les politiques RH et de mieux le promouvoir auprès des salariés aux revenus modestes, des aidants familiaux, ou encore des parents isolés ;
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en simplifier l’utilisation, en facilitant son acceptation et/ou en permettant qu’il serve également au paiement des charges sociales liées à l’emploi déclaré à domicile ;
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poursuivre la revalorisation régulière du plafond annuel exonéré de cotisations sociales, comme cela a été fait en février 2025 ;
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mieux informer, mieux accompagner et, surtout, mieux inciter les TPE/PME à adopter ce dispositif encore trop concentré dans les grandes structures.
Pierre-Olivier Giffard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Pierre-Olivier Giffard, Enseignant et directeur du département Marketing, Entrepreneuriat et Développement commercial, ESCE International Business School
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