Décryptage technologique

#SkinnyTok, la tendance TikTok qui fait l’apologie de la maigreur et menace la santé des adolescentes

Associant phrases chocs, musiques entraînantes et récits de transformation physique, de jeunes femmes font sur TikTok la promotion d’une maigreur extrême. Loin de provoquer du rejet, ces messages sont discutés et très partagés sur le réseau social, interpellant éducateurs et professionnels de santé.


Dans les années 1990, les couvertures des magazines féminins annonçaient l’été avec des injonctions à changer son corps : il fallait « perdre 5 kilos avant la plage » ou « retrouver un ventre plat en 10 jours » afin de ressembler aux mannequins filiformes des podiums.

Aujourd’hui, ces supports papier perdent du terrain chez les jeunes filles, au profit de réseaux sociaux comme TikTok, une plateforme au cœur de leur culture numérique. L’imaginaire du corps parfait s’y diffuse plus vite, plus fort, et de manière plus insidieuse.

Parmi les tendances incitant à la minceur sur ce réseau social, #SkinnyTok apparaît comme l’un des hashtags les plus troublants avec 58,2 K de publications en avril 2025.

La pression sociale de discours chocs

À l’aide de vidéos courtes mêlant musiques entraînantes, filtres séduisants et récits de transformation physique (les fameux avant/après), de jeunes femmes s’adressent à leurs paires pour les inciter à moins manger, voire à s’affamer.

Centrées sur des heuristiques de représentativité, ces jeunes femmes mettent en scène leurs corps comme une preuve de la pertinence des conseils qu’elles avancent. Elles soulignent ainsi que leur vécu est un exemple à suivre : « Je ne mange presque plus. »

En surface, leurs recommandations nutritionnelles se fondent sur les messages sanitaires auxquelles elles sont exposées depuis leur enfance : manger sainement, faire du sport… Mais en réalité, leurs discours prônent des régimes dangereusement restrictifs, des routines visant à façonner des corps ultraminces. Basés sur la croyance, qu’il faut éviter de manger pour perdre rapidement du poids, des conseils de jeûne intermittent, des astuces pour ignorer la faim sont véhiculés : « Je ne mangeais qu’à partir de 16 heures + pilates à côté. »

Ici, pas de mises en scène de recettes ou de bons plans pour mieux manger comme dans la plupart des contenus « healthy » sur Instagram, mais des phrases chocs facilement mémorisables pour véhiculer une pression sociale : « Si elle est plus maigre que toi, c’est qu’elle est plus forte que toi » ; « Ne te récompense pas avec de la nourriture, tu n’es pas un chien ! » ; « Tu n’as pas faim, c’est juste que tu t’ennuies » ; « Si ton ventre gargouille, c’est qu’il t’applaudit. »

On ne trouve pas non plus dans les messages estampillés #SkinnyTok de propos bienveillants et empathiques, confortant une estime de soi.




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Au contraire, les prises de parole sont agressives et pensées comme un levier efficace de changement comportemental. Le principe est de susciter des émotions négatives basées sur la culpabilité avec, comme source de motivation, la promesse de vivre un bel été : « Tu ne veux pas faire de sport, OK, alors prépare-toi à être mal dans ta peau cet été. »

Loin de provoquer du rejet sur le réseau social, ces messages sont discutés, partagés, voire complétés par des témoignages issus des abonnées. Certains messages deviennent des références évocatrices de la tendance. Cette viralité amplifiée par l’algorithme de TikTok enferme alors ces jeunes filles dans des bulles cognitives biaisées, qui valident des pratiques délétères pour leur santé.

Des représentations simplificatrices

Si cette tendance « skinny » est rarement remise en question par les followers, c’est sans doute parce que les contenus diffusés apparaissent comme simples à comprendre et qu’ils bénéficient d’une validation visuelle des corps exposés.

Ils s’ancrent dans des connaissances naïves qui viennent se heurter à des savoirs scientifiques, perçus comme plus complexes et moins faciles à mettre en œuvre dans le vécu quotidien des adolescentes pour obtenir rapidement le résultat corporel escompté pour l’été.

En psychologie cognitive, les connaissances naïves sont définies comme des représentations spontanées et implicites que les individus se construisent sur le monde, souvent dès l’enfance, sans recours à des enseignements formalisés. Influencées par des expériences personnelles et sociales, elles peuvent être utiles pour naviguer dans le quotidien, car elles apparaissent comme fonctionnelles et cohérentes chez l’individu. En revanche, elles sont souvent partielles, simplificatrices voire fausses.

Or, ces connaissances naïves constituent le creuset des messages diffusés par les créateurs de contenus sur les réseaux sociaux. En particulier, sur TikTok, les vidéos diffusées cherchent à capter l’attention des internautes, en privilégiant une forte connotation émotionnelle pour provoquer une viralité exponentielle. L’information qui y est transmise repose sur un principe bien connu en marketing : une exposition répétée des messages, quelle qu’en soit la valeur cognitive, influence les comportements.


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Apprendre à détecter les fausses informations

Ces croyances simplificatrices sont d’autant plus difficiles à déconstruire qu’elles bénéficient d’une approbation collective, visible sous forme de « likes » par toutes les abonnées. Il apparaît donc nécessaire de mettre au jour le rôle joué par les connaissances naïves dans l’éducation corporelle des adolescentes afin de mieux saisir pourquoi certaines d’entre elles sont plus vulnérables que d’autres à ce type d’injonctions et mettre en place des interventions ciblées.

En outre, les connaissances naïves sont souvent résistantes au changement et aux discours scientifiques. Il s’agit alors de revisiter ces raccourcis cognitifs, fondés sur des liens de causalité erronés (du type : « Je ne mange pas et je serai heureuse cet été »), en proposant des messages de prévention plus adaptés à cette génération numérique.

Pour aller dans ce sens, certains professionnels de santé prennent la parole sur les réseaux sociaux, mais la portée de leur discours semble encore limitée au regard de la viralité suscitée par cette tendance. Face à ce constat, il semble opportun de les inviter à s’approprier davantage les codes de communication numérique pour s’afficher comme des figures d’autorité en matière de santé sur TikTok.

Plus globalement, il ne s’agit ni de diaboliser TikTok ni de prôner le retour à une époque sans réseaux sociaux. Ces plateformes sont aussi des espaces de création, d’expression et de socialisation pour les jeunes. Mais pour que les connaissances qu’elles diffusent deviennent de véritables outils d’émancipation plutôt que des sources de pression sociale, plusieurs leviers doivent être activés :

  • réguler, inciter davantage les plateformes à la modération de contenus risqués pour la santé mentale et physique des jeunes ;

  • apprendre aux adolescents à détecter de fausses évidences sur les réseaux sociaux. Dans cette perspective, notre projet Meals-Manger avec les réseaux sociaux vise à co-construire avec les jeunes une démarche leur permettant d’acquérir et d’exercer un esprit critique face aux contenus risqués pour leur santé, auxquels ils sont exposés sur les plateformes sociales ;

  • éduquer les éducateurs (parents et enseignants) qui sont souvent peu informés sur les comptes suivis par les adolescents et ont des difficultés à établir un lien entre des connaissances naïves diffusées sur les réseaux sociaux et les comportements adoptés dans la vie réelle.

#SkinnyTok, la tendance TikTok qui fait l’apologie de la maigreur et menace la santé des adolescentes

Pascale Ezan a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (projet ALIMNUM (Alimentation et Numérique et projet MEALS (Manger avec les réseaux sociaux)

Emilie Hoëllard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Pascale Ezan, professeur des universités – comportements de consommation – alimentation – réseaux sociaux, Université Le Havre Normandie

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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