Décryptage technologique

À Nice, le sommet sur l’océan s’est terminé le 13 juin 2025 sur un bilan en demi-teinte. Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre entités différentes mais complémentaires : scientifiques, décideurs, société civile et acteurs financiers. Il convient désormais de transformer l’essai en tenant compte des réalités locales de chaque territoire.


Après New York en 2017 et Lisbonne en 2022, la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3) s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin. Elle a été le théâtre d’une mobilisation sans précédent des acteurs de l’océan dans l’histoire des conférences multilatérales telles que les COP (Conférences des Parties) onusiennes.

L’océan joue en effet un rôle capital dans les grands équilibres planétaires : il est le pilier de la machine climatique ainsi qu’un précieux vivier de biodiversité.

La dynamique de la conférence a permis d’appeler à l’action internationale pour préserver l’océan, dans un contexte où il n’existe pas de COP dédiée à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Une absence que le sommet a permis de pallier en proposant un espace multilatéral de gouvernance de l’océan à vocation universelle et transversale, même si l’UNOC ne dispose pas des moyens et leviers d’une COP.

Surtout, cette troisième conférence s’est tenue dans un contexte de défiance croissante de certains États à l’égard du droit international et du multilatéralisme. Réunir la communauté internationale autour des défis contemporains liés à l’océan représentait un premier objectif important – et celui-ci a été atteint.

Le bilan concret du sommet peut apparaître en demi-teinte : l’accord sur la haute mer (aussi appelé accord BBNJ) n’a pas encore obtenu le nombre de 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur.

Quoi qu’il en soit, celui-ci a été l’occasion d’initier un dialogue concret entre les quatre mondes que sont la sphère scientifique, celle des décideurs, la société civile et enfin les investisseurs. Un essai qu’il convient désormais de transformer en prenant exemple sur les solutions développées localement.

Des résultats en demi-teinte mais une mobilisation exceptionnelle

Le premier objectif affiché de l’UNOC-3 a été un demi-succès : il s’agissait de permettre l’entrée en vigueur de l’accord sur la haute mer. Les efforts diplomatiques ont permis d’atteindre 51 ratifications durant la conférence, mais pas le seuil des 60 nécessaires à l’entrée en vigueur de l’accord. L’UNOC-3 aura donc été une étape importante, mais insuffisante. L’objectif est désormais celui d’une entrée en vigueur début 2026.

Malgré tout, la conférence aura permis le lancement d’initiatives politiques significatives tel que l’Appel de Nice, signé par 96 États soutenant une haute ambition pour le traité sur la pollution plastique. Jusqu’ici, les négociations ont buté sur une opposition de vues – équilibrée si l’on considère 193 États membres de l’ONU – qui rendent incertaine l’issue des négociations.

De même, 37 États ont initié une Coalition de haute ambition pour un océan plus silencieux, appelant à lutter contre cette forme de pollution ayant des impacts forts sur la vie marine, de plus en plus documentée : la pollution sonore sous-marine.

Le sommet s’est toutefois distingué par une mobilisation inédite des parties prenantes de l’océan. La zone dédiée à la société civile a accueilli plus de 130 000 visiteurs. Plusieurs événements en amont de l’UNOC3 ont rassemblé une grande diversité d’acteurs internationaux et locaux : scientifiques, représentants de communautés locales, acteurs financiers du secteur privé comme de la philanthropie, organisations de la société civile… Citons par exemple :

Cette dynamique exceptionnelle a porté la voix de ces acteurs auprès des 175 États membres présents, en appelant à une action transformatrice visant à garantir la bonne santé de l’océan et des communautés qui en dépendent. En effet, le développement et surtout le financement de ces projets au niveau local et régional sont indispensables pour relever ce défi.

Une valse à quatre temps entre scientifiques, décideurs, société civile et financeurs

La science a d’ailleurs tenu une place toute particulière à l’UNOC3. Outre l’organisation du One Ocean Science Congress, la tenue du premier Forum international des universités marines et le lancement officiel d’une plateforme internationale pour la durabilité des océans (IPOS), la science a fait l’objet de déclarations politiques fortes dès les premiers discours officiels. Elle a aussi donné lieu à des engagements clairs dans la déclaration politique finale (paragraphes 30 c et d), même s’il faudra rester attentif à leur mise en œuvre concrète.

L’UNOC-3 a consolidé un modèle de synergie entre quatre sphères d’acteurs : scientifiques, décideurs publics, société civile et financeurs. Ainsi :

  • le congrès scientifique One Ocean Science Congress a permis de présenter les derniers diagnostics sur l’état de santé de l’océan – même si la remobilisation de ces messages durant l’UNOC-3 n’a pas été aussi forte qu’elle aurait pu l’être.

  • La session Ocean Science Diplomacy a rassemblé chercheurs et diplomates autour de l’intégration de la science dans les négociations internationales. L’UNESCO y a souligné l’insuffisance des budgets publics dédiés à la recherche océanographique.

  • En parallèle, les institutions publiques ont réaffirmé leur volonté d’agir. Par exemple, à travers la coalition Space4Ocean qui vise à améliorer les connaissances sur les océans.

  • La société civile a porté la voix des communautés littorales de manière périphérique.

  • Enfin, le Blue Economy & Finance Forum a mobilisé les acteurs financiers publics et privés afin de sortir du sous-financement structurel des actions en faveur de l’océan. Un total de 8,7 milliards d’euros d’investissements a été proposé pour les cinq prochaines années, dont 4,7 milliards d’euros seront mobilisés par des philanthropes et investisseurs privés réunis au sein de l’initiative Philanthropists and Investors for the Ocean. L’action des philanthropes est essentielle pour garantir un accès plus équitable au financement et renforcer les capacités locales.

Cette synergie permet une vision plus commune et partagée des enjeux, à la croisée de l’état des océans, du changement climatique, de la crise de la biodiversité au-delà des seuls milieux marins, et des injustices et inégalités.

Par exemple : la conservation et la restauration des mangroves ont été évoquées de manière transversale par des ministres, scientifiques ou par des fondations philanthropiques comme des solutions à fort impact à la fois pour le climat (séquestration carbone), pour la biodiversité et pour les communautés locales, notamment autochtones, dont le bien-être dépend de l’état de la mangrove.

De prochaines échéances décisives

À la suite de la plus grande conférence jamais organisée sur l’océan, les signaux sont encourageants mais la route encore longue.

Les prochaines échéances seront décisives : il faudra une mobilisation massive pour inclure des mesures contraignantes dans le traité international contre la pollution plastique lors de la reprise des négociations à Genève en août 2025. De même, la poursuite de l’objectif d’entrée en vigueur attendue du traité de la haute mer en janvier 2026 nécessite encore une ratification par au moins neuf États supplémentaires.

Par ailleurs, même si les liens entre océans, climat et biodiversité ont été rappelés tout au long des deux semaines du sommet, et si la décarbonation du transport maritime y a été abordée, l’enjeu des combustibles fossiles n’a pas été traité. Pourtant, les petits États insulaires appellent ouvertement à leur élimination progressive afin de garantir la santé de l’océan.

L’UNOC-3 devra être suivi d’un retour aux réalités locales des territoires. Chaque délégué ayant participé au sommet représente une communauté et un territoire. Ce retour doit se faire avec humilité et lucidité. Il n’existe pas de solution miracle : chaque écosystème territorial littoral doit trouver sa manière de traduire les principes globaux à l’échelle locale.

Les discours sur le soutien à la pêche artisanale et les communautés côtières marginalisées, par exemple, ont été nombreux à l’UNOC-3. Mais de quelle pêche artisanale parle-t-on et que signifie la soutenir ? La défendre face à la pêche industrielle ? Mieux la planifier pour protéger l’environnement ? La sauver de la pollution ? L’accompagner dans l’adaptation au changement climatique ? Répondre à ces questions suppose une compréhension fine des réalités locales.

Les engagements annoncés à l’UNOC3 devront désormais se transformer en actions concrètes et en partage de solutions, notamment pour accompagner l’adaptation des territoires au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer, avec le soutien des communautés se trouvant en première ligne.

Pour atteindre les objectifs annoncés, nous pensons qu’il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs – scientifiques, acteurs associatifs, décideurs, entrepreneurs. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de par leurs missions fondamentales, devront contribuer plus que jamais à la formation des plus jeunes – les futurs acteurs du changement, à la sensibilisation des décideurs actuels, à la création et la diffusion de connaissances et d’innovations.

De telles ambitions se heurtent trop souvent au cloisonnement de la recherche, aux contingences des politiques scientifiques et à une certaine étanchéité entre les établissements publics de recherche, la société civile et les décideurs. À notre échelle, notre rôle est de repousser ces barrières et d’œuvrer pour une construction scientifique inter et transdisciplinaire pour favoriser les connexions et susciter l’émergence de projets à plusieurs niveaux de complexité. Les recherches doivent aussi être inclusives vis-à-vis des peuples autochtones et des communautés locales pour répondre aux attentes sociétales et co-construire un avenir juste, résilient et désirable pour l’océan et les générations futures.

Sommet sur l’océan à Nice : des résultats prometteurs mais un essai à transformer

Sylvain Antoniotti a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche.

Christophe Den Auwer a reçu des financements du CEA

Jean-Christophe Martin a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche.

Cecile Sabourault, Julien Andrieu et Saranne Comel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

Auteur : Sylvain Antoniotti, Directeur de Recherche au CNRS en Chimie, Université Côte d’Azur

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.