Décryptage technologique

Taxis volants : à la veille d’un boom, vraiment ?

Attendus pour les Jeux olympiques de Paris, les taxis volants sont restés à terre. Derrière les promesses d’entrepreneurs et de start-ups, qu’en est-il vraiment ? Les taxis volants ont-ils un modèle économique à même de garantir leur développement ? Pour quels trajets ? Et quelle réglementation ?


Dans bien des médias, le taxi volant autonome et électrique est souvent présenté comme une réalité à portée de main. Mais le Volocity a dû renoncer à la desserte qui lui semblait acquise lors des Jeux olympiques de Paris. Et son fabricant Volocopter a déposé son bilan dans la foulée alors que son concurrent Lilium Jet a peut-être été sauvé de justesse par un consortium d’investisseurs. Puis la start-up israélo-américaine Eviation a, elle aussi, renoncé à son projet Alice après dix ans de développement. S’agit-il d’incidents de parcours ou d’une crise profonde pour l’advenue de ce nouveau mode de transport ?

Du drone au taxi volant

L’importance du drone a brusquement été révélée par les guerres en Ukraine et au Proche-Orient. En 2024, le chiffre d’affaires mondial du marché du drone était de 35 milliards de dollars (USD). Vers 2030, il devrait atteindre 50 milliards à 70 milliard USD selon différentes projections. Le drone ne coûte pas très cher à produire. Il se faufile partout. Sa taille comme son utilisation sont très variées depuis l’observation aérienne jusqu’au transport de colis. La livraison express par drone avait commencé dès 2018, notamment entre des hôpitaux comme à Zurich.

De nombreux facteurs militent en faveur des VTOL (Vertical Take off and Landing) électriques et autonomes. Beaucoup de gens pressés – chefs d’entreprises, politiciens, services médicaux, pièces de rechange, maintenance… – ont besoin d’un accès rapide à des lieux mal desservis, faute de connexion terrestre ou à cause d’un réseau routier saturé. Par ailleurs, l’électrification a le vent en poupe avec la lutte contre les énergies fossiles.

Une vieille histoire

Relier un aéroport directement au centre-ville par les airs est un vieux rêve. Dès 1932, l’architecte André Lurçat avait projeté de construire Aéroparis, un petit aéroport qui aurait été implanté à Paris, au pied de la tour Eiffel, sur l’île aux Cygnes. Dans les années 1950, lorsque fut construite la nouvelle gare ferroviaire de Bruxelles-Central en vis-à-vis du siège de la Sabena qui était alors la compagnie nationale aérienne belge, le toit de l’immeuble avait été prévu pour l’accueil des hélicoptères venant de l’aéroport de Bruxelles-National. Un temps, à Paris, on songeait à ce genre de desserte entre Orly et la place des Invalides.

Mais le bruit généré par les hélicoptères ainsi que les problèmes de coût et de sécurité ont eu raison de ces projets. Aujourd’hui, rares sont les villes comme São Paulo (Brésil) où sont autorisés les hélicoptères taxis (ou même privés) qui permettent de survoler les bouchons routiers. La Chine veut prendre tout le monde de court : elle a sélectionné six villes pilotes, à la fin de 2024, pour ses VTOL. À Guangzhou, la start-up Ehang met au point une machine autonome avec un ou peut-être deux passagers pour des temps de vol d’une vingtaine de minutes.

L’innovation par les machines

De type VTOL, les concepts de taxis volants électriques et autonomes sont nécessairement « out of the box ». Leur design technique hésite entre plusieurs solutions plus ou moins intermédiaires entre l’avion et l’hélicoptère. De grandes entreprises comme Boeing ou Airbus collaborent volontiers avec des start-ups. Certaines de ces start-ups préfèrent se lancer seules dans l’aventure. Le transport par taxi volant ne sera pas très capacitaire, somme toute à l’image des taxis qui sillonnent les routes et les rues.




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Le problème des nouvelles entreprises est de lever des fonds alors que le marché n’existe pas encore. Sur la base d’informations fracassantes, Internet abonde d’images et de vidéos, à la fois futuristes, oniriques et réalistes, qui veulent démontrer que le taxi volant électrique serait prêt à l’emploi alors qu’en réalité, beaucoup reste à faire. En particulier, l’idée du vol sans pilote semble bien chimérique.

Près de 70 millions levés et une dette de 1,3 milliard

Ainsi, la société Lilium (GmbH) était apparue dans la grande banlieue de Munich (Allemagne) en 2017, avec une commercialisation annoncée pour 2025. Lilium a levé 70 millions USD pour commencer. Le premier appareil a volé le 4 mai 2019. Lilium a été cotée au Nasdaq en 2021. En mai 2024, sa dette est de plus de 1,35 milliard d’euros. En octobre, l’État de Bavière lui refuse un prêt de 50 millions. En décembre, Lilium s’effondre et Mobile Uplift Corporation (GmbH), une holding munichoise, en reprend les restes. L’histoire de Volocopter (GmbH), basée elle aussi en Allemagne du Sud, dans le Bade-Wurtemberg, est parallèle à celle de Lilium. Les Jeux olympiques de Paris avaient été la dernière chance de Volocopter de se relancer.

Le modèle économique français sera-t-il plus robuste ? À Toulouse, le projet Ascendance est porté par une start-up). Il s’agit d’un VTOL hybride transportant quatre passagers et un pilote.

La propulsion en partie thermique lui assure un grand rayon d’action (environ 400 km), ce qui se paye par une moindre décarbonation. Son premier vol est toujours attendu, mais sa commercialisation est prévue pour 2027. L’Ȋle-de-France apparaît comme un marché clé. Airbus et la RATP ont signé un accord de coopération en vue d’y développer les taxis volants.

L’obstacle réglementaire

Le survol des villes pose des problèmes réglementaires peut-être insurmontables. Il faudrait pouvoir découper l’espace aérien urbain en trois couches verticales. Jusque vers 150/150 mètres de haut, la première strate serait le domaine des drones de fret. Jusqu’à plusieurs centaines de mètres circuleraient les taxis autonomes.

Au-delà, le ciel serait réservé à l’aviation civile proprement dite. Aux États-Unis, un programme pilote a réuni Wing Aviation, FedEx Express et le groupe pharmaceutique Walgreens en 2019. Il a été certifié par la Federal Aviation Administration (FAA), dans le cadre du programme Unmanned Aircraft System Integration Pilot Program (IPP)) du ministère américain des transports. Une zone test a été activée à Christiansburg (Virginie).


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En 2021, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) a rédigé un cadre réglementaire pour les taxis volants VTOL pouvant embarquer jusqu’à neuf passagers et ne pesant pas plus de 3175 kg. Le Volocity, par exemple, avait reçu un agrément qui lui permet d’« être exploité dans une zone à faible risque clairement délimitée ».

Une amende et un avertissement

Mais, à Paris, le survol par des drones est interdit depuis 2018, sauf accord préalable avec la préfecture de police pour des vols ponctuels. Et, depuis 1948, les avions doivent voler à plus de 1 950 mètres d’altitude au-dessus de la ville. Dès 1919, Jules Védrines s’était posé sur le toit des Galeries Lafayette et Charles Godefroy s’était faufilé sous l’Arc de Triomphe ; le premier avait dû payer une amende et le second, un militaire, avait reçu un avertissement de ses supérieurs.

En 2023, l’Autorité environnementale (AE) a jugé « incomplète » l’étude d’ADP pour l’implantation du vertiport de Paris-Austerlitz), attendu pour les Jeux olympiques. Cette « hélistation » avait été autorisée le 1er juillet avant d’être finalement « suspendue ») le 24. Peur du nouveau ou prudence justifiée par rapport au bruit (65 db pour Volocity), voire la sécurité ?

Brut 2024.

Une nouvelle géographie

Selon le cabinet Oliver Wyman, en 2035, 50 à 90 métropoles pourraient adopter le taxi volant avec 40 000 à 60 000 véhicules en opération qui généreraient des revenus estimés entre 35 milliards et 40 milliards USD.

Au-delà de l’espace métropolitain, les ambitions vont elles aussi bon train. Tout comme l’ascendance hybride, le Lilium-Jet électrique pourrait (aurait pu ?) atteindre les petites villes éloignées des grands centres urbains.

« Nous pouvons créer une accessibilité à grande vitesse pour des milliers de communes », explique son dirigeant Daniel Wiegand.

Lilium ambitionnait de commercialiser des « centaines d’appareils » à partir de 2025. Cette opportunité est séduisante puisque les réseaux de TGV laissent subsister de nombreuses zones d’ombre que les VTOL électriques pourraient effacer, en tout cas, pour des clients aisés. S’agit-il d’une occasion rêvée pour desserrer les métropoles et favoriser l’accessibilité des lieux isolés dans la ruralité ? De même, les transports sanitaires auraient beaucoup à gagner, d’abord dans les régions pauvres, mais également dans les petites villes souvent en déclin des pays riches.

Taxis volants : à la veille d’un boom, vraiment ?

Raymond Woessner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Raymond Woessner, Professeur honoraire de géographie, Sorbonne Université

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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