Terres rares : Ces nouveaux venus qui entendent concurrencer la Chine et les États-Unis
Dans un contexte de tensions sur l’approvisionnement en ressources minières stratégiques, le marché international des terres rares est en pleine recomposition. D’anciens leaders, comme les États-Unis, reviennent en force, tandis que des nouveaux venus tentent de gagner leur place. Leur ambition ? Concurrencer la Chine, qui en détient le monopole actuel.
Donald Trump a récemment annoncé un accord avec la Chine pour sécuriser l’approvisionnement américain en terres rares, dernière annonce en date parmi les nombreuses déclarations du président américain à ce sujet au cours des derniers mois.
L’accès aux ressources minières, en particulier les terres rares, est également l’une des raisons pour lesquelles Donald Trump s’intéresse de près au Groenland. C’est aussi l’objet de l’accord signé avec l’Ukraine, en échange d’aide militaire américaine.
Au cœur des convoitises, les terres rares. Elles désignent un groupe de 17 éléments métalliques. Leur nom vient d’une traduction approximative de l’anglais rare-earth elements (ou, REE). Elles sont particulièrement utilisées dans le secteur des hautes technologies, de l’énergie (notamment dans les aimants permanents que l’on retrouve dans les éoliennes), des véhicules électriques, de la robotique ou de l’électronique grand public. De ce fait, elles jouent un rôle crucial dans la transition énergétique, comme nous le rappelions dans une étude récente.
Aujourd’hui, ce terme est souvent confondu avec celui de métaux stratégiques qui intègre d’autres métaux comme le cobalt, le lithium et le nickel, qui ne sont pas des terres rares au sens strict. C’est probablement en ce sens que Donald Trump s’est intéressé aux « terres rares » de l’Ukraine.
Sur la scène internationale, la Chine a longtemps dominé la production de terres rares, mais le marché est en pleine recomposition, avec de nouveaux États qui tirent leur épingle du jeu. Quels sont ces nouveaux acteurs, quels sont leurs atouts ? Panorama.
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La Chine, un leader monopolistique
La Chine possède la plus grande réserve de terres rares au monde et en est le plus grand producteur mondial. Elle compte plusieurs gisements intéressants au plan économique, notamment la mine de Bayan Obo en Mongolie intérieure.
Le pays a compris très tôt les applications potentielles de ces métaux. L’ancien dirigeant chinois Deng Xiaoping aurait déclaré, déjà en 1987 :
« Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares. »
À l’époque, le pays créait sa stratégie nationale sur les terres rares, à travers le développement de mines nationales et l’acquisition d’installations de traitement à l’étranger. Grâce à ses normes environnementales peu contraignantes, à sa main-d’œuvre bon marché et à ses ressources abondantes en terres rares, la Chine a attiré des entreprises occidentales qui s’y sont installées. En quelques années, elle a ainsi acquis une position dominante sur le marché.
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En introduisant des mesures telles que les quotas et licences d’exportation dès 1999, la Chine a réussi à garder le monopole des terres rares, de leur extraction à leur transformation. Elle occupe une position dominante sur chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement : elle extrait 69 % et traite 90 % des terres rares produites.
Par le biais de participations et de coentreprises, les entreprises chinoises sont impliquées dans des projets liés aux terres rares ailleurs dans le monde, et sont très présentes dans la région de Kachin, au Myanmar.
Cette concentration de la production en Chine expose l’approvisionnement en terres rares à des risques géopolitiques. Comme en témoignent les conséquences de la crise des terres rares de 2010, de l’épidémie de Covid-19 et, plus récemment, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
De ce fait, les industries occidentales dépendantes de ces métaux reconsidèrent leur dépendance à l’égard des terres rares chinoises. L’Union européenne a d’ailleurs légiféré sur la question à travers son Critical Raw Materials (CRM) Act. L’enjeu : diversifier les sources d’approvisionnement.
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Le retour des États-Unis
Jusqu’aux années 1990, les États-Unis étaient le principal producteur mondial de terres rares. La majeure partie des terres rares extraites dans le monde entre 1960 et 1980 provenaient de la mine de Mountain Pass, en Californie. Mais, avec l’émergence des acteurs chinois dans les années 1980, les prix des terres rares américaines n’ont pas pu concurrencer les prix chinois et les unités de traitement ont été délocalisées en Chine. La mine de Mountain Pass a fermé ses portes en 2002, principalement pour des considérations environnementales.

Tmy350/Wikimedia, CC BY-NC-SA
La crise des terres rares de 2010 a profondément marqué le marché. Cet évènement a poussé les États-Unis à trouver des sources d’approvisionnement hors de Chine et à réinvestir dans sa production nationale. La réouverture de Mountain Pass a été difficile et a entraîné la faillite de l’opérateur minier Molycorp. Les activités minières ont repris en 2017, sous la propriété de MP Materials, avec une augmentation progressive des capacités de production.
En 2023, la mine a extrait 11 % des terres rares produites dans le monde. À l’origine les terres rares étaient traitées en Chine, cependant MP Materials a récemment construit une usine de traitement opérationnelle aux États-Unis. Le développement d’une chaîne d’approvisionnement complète aux États-Unis se poursuit avec le premier essai de production d’aimants en terres rares.
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L’Australie, un concurrent sérieux
Bien qu’elle ne possède que 6 % des réserves mondiales de terres rares, l’Australie en est le quatrième pays producteur. Là crise des terres rares n’y est pas pour rien. En effet, l’industrie high tech japonaise a été fortement touchée par cette crise. Pour réduire sa dépendance aux importations de terres rares chinoises, le Japon a alors soutenu des projets de terres rares à l’étranger, notamment la mine de Mount Weld en Australie et une usine de raffinage en Malaysie.
Depuis, l’Australie n’a cessé d’accroître sa production. En témoigne l’extension de la mine de Mount Weld, qui a permis d’augmenter de 50 % la production de certains minerais. D’autres projets ont été lancés, comme le projet Nolans ou encore le projet d’extraction de terres rares à partir de déchets miniers à Enneabba. À l’instar des États-Unis, le développement de l’industrie des terres rares est soutenu par des fonds publics dans le cadre d’une stratégie nationale.
Bien que l’industrie des terres rares australienne soit moins mature que ses concurrents chinois, le marché australien parvient à se positionner comme un marché fiable et plus vertueux au plan environnemental. Un atout pour séduire les industries occidentales, ce qui devrait lui permettre de gagner des parts de marché dans les années à venir.
Les autres États dans la course
Si l’on s’en tient aux réserves en terres rares, c’est le Brésil qui détient la deuxième place après la Chine. Aujourd’hui, le pays n’en extrait que peu pour le moment. Les projets se multiplient, principalement dans la région de Goias. Le gisement de Pela Emma, exploité par Serra Verde, a commencé à produire des terres rares et prévoit de doubler sa capacité de production d’ici 2030.

Fourni par l’auteur
Le Vietnam aussi a du potentiel. Le pays dispose d’importantes réserves de terres rares, cependant il peine à attirer des investissements étrangers.
Récemment, l’industrie vietnamienne des terres rares a été fortement ébranlée par des accusations de corruption et de ventes illégales à des acteurs chinois. Actuellement, le Vietnam applique des règles strictes en matière d’exportation de terres rares. La revente de terres rares brutes à l’étranger est illégale afin d’encourager le développement de l’industrie intermédiaire locale.
Parmi les dirigeants arrêtés pour exportations illégales vers la Chine figure le président de l’une des plus importantes entreprises vietnamiennes du secteur, Vietnam Rare Earth JSC. Cette société était en négociations avec des entreprises australiennes pour la vente de la mine de Dong Pao, actuellement en sommeil. La réouverture de la mine s’inscrit dans le cadre d’une stratégie nationale. Ses droits d’exploitation devraient être vendus aux enchères dans le courant de l’année.
Le gouvernement vietnamien ambitionne de produire de 20 000 à 60 000 tonnes de terres rares par an d’ici à 2030, puis de 40 000 à 80 000 tonnes entre 2031 et 2050. Ce plan repose sur l’ouverture d’au moins dix mines dans le pays. Des coopérations internationales se profilent : une délégation française a récemment rencontré des acteurs du secteur, tandis que les États-Unis ont également entamé des discussions avec les autorités sous l’administration Biden.
La Malaisie, pour sa part, est surtout le terrain d’investissements étrangers. En 2012, l’entreprise australienne Lynas y a construit la première infrastructure de traitement en dehors de la Chine, qui a permis au pays de devenir une plaque tournante pour les terres rares extraites en Australie vendues ensuite en Asie, en Europe et aux États-Unis.
Le nouveau plan industriel malaisien pour 2030 prévoit le développement des industries minières en amont et en aval. Cependant, le développement d’une industrie des terres rares en Malaisie reste un sujet sensible. La population locale a beaucoup souffert des conséquences de la mauvaise gestion des déchets d’une usine de traitement des terres rares dans les années 1970, qui s’est soldée par des pertes humaines et des dommages environnementaux.
L’administration malaisienne doit donc relever un triple défi : attirer les investissements étrangers, veiller à ce que les nouveaux venus s’engagent pleinement à respecter des normes environnementales élevées et, enfin, s’approprier une part équitable de la rente minière.
Qu’en est-il de l’Inde ? Le pays possède une vaste réserve de terres rares, produites à partir de sable minéral. Deux entreprises sont à la pointe de l’industrie indienne des terres rares : IREL et KMML. Des projets d’extension et de nouveaux projets miniers y sont en cours.
Le Myanmar, enfin, est le troisième plus grand producteur de terres rares, même si l’ampleur de ses réserves reste inconnue. La principale zone d’exploitation est la région de Kachin, proche de la frontière avec la Chine. La nature du gisement est semblable à celle que l’on retrouve dans le sud de la Chine. On y trouve une forte concentration de terres rares lourdes, plus rares et plus chères, ce qui fait du Myanmar un acteur de longue date sur le marché des terres rares.
La proximité de la frontière permet à la Chine d’externaliser sa production de terres rares lourdes dans cette région. Une grande partie des activités minières y sont toutefois illégales. Depuis le coup d’État de 2021, ces activités sont accusées de financer la junte.
De nouveaux challengers et l’Europe du recyclage
Dans cette course aux terres rares, certains pays d’Afrique australe ambitionnent de faire leur propre place. Plusieurs projets miniers en cours de développement devraient aboutir entre 2025 et 2028. Exploités par des entreprises occidentales, une grande partie de ces projets sont situés à proximité du corridor de Lobito, un projet ferroviaire soutenu par les États-Unis et l’Union européenne pour contrer l’influence chinoise dans la région.

Commission européenne
Enfin, n’oublions pas la Russie et le Canada, dotés de nombreux gisements. Certaines mines sont déjà en activité en Russie, tandis que le Canada devrait débuter l’extraction commerciale dans les années à venir. Depuis l’été 2024, le Canada dispose d’une installation opérationnelle de traitement des terres rares.
En Europe, la seule perspective d’extraction de terres rares est le gisement de Per Geijer, en Suède. La production de la mine pourrait répondre à 18 % de la consommation européenne de terres rares, mais le projet n’en est qu’au stade de l’exploration.
Les pays européens comptent surtout sur le recyclage des déchets miniers et des produits en fin de vie pour couvrir une partie de leurs besoins, comme le prévoit la loi sur les matières premières critiques (CRM Act).
En ce qui concerne l’Ukraine, les données du service géologique ukrainien indiquent l’existence de gisements potentiels, mais il n’y a actuellement aucun projet de terres rares en cours de développement.
Tous ces nouveaux venus, quels que soient leurs atouts respectifs, vont devoir composer avec la Chine. De par sa situation de monopole, celle-ci peut impacter directement la rentabilité des projets miniers lancés ailleurs dans le monde : de quoi les retarder – ou à tout le moins, les entraver – si elle le souhaite.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Stéphane Goutte, Professeur à l’UMI SOURCE, Université Paris Saclay, UVSQ, IRD., Université Paris-Saclay
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