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Un conducteur de train gravement électrisé à cause d’un… câble Ethernet


25 000 volts : le PoE de l’extrême

Un conducteur de train gravement électrisé à cause d’un… câble Ethernet

En 2024, des essais qui s’enlisent et un câble Ethernet oublié dans la cabine ont provoqué l’électrisation d’un agent. Cette affaire est l’occasion de rappeler que prudence est mère de sureté.

Cette histoire pourrait presque prêter à sourire si elle ne s’était pas soldé par un blessé grave en juillet 2024. Soyez rassuré : il va bien désormais : « Sa convalescence a duré quelques mois. Il a repris le travail, dans un premier temps à temps partiel, puis à temps complet à partir de janvier 2025 ».

Cette histoire, mise en lumière par Pierre Beyssac sur X, est racontée par le BEA-TT ou Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre, dans un long rapport technique de 66 pages. Il retrace « l’électrisation d’un agent en cabine de conduite lors d’une circulation de train d’essai survenue le 22 juillet 2024 à Zillisheim (68) ».

L’incident s’est déroulé lors d’une campagne d’essais pour vérifier que la nouvelle locomotive TRAXX MS 3 d’Alstom était bien compatible avec le réseau français. Plantons le décor : la température extérieure était de 25 °C, le taux d’humidité de 60 %, le ciel était ensoleillé et très peu nuageux.

À la recherche d’une solution pour piloter à distance un pantographe

L’exposé sommaire des faits est le suivant : « Alors que le train d’essai circule à la vitesse de 100 km/h à hauteur de Zillisheim avec huit personnes à son bord, un câble Ethernet mal fixé se détache à l’extérieur et touche une pièce sous haute-tension en toiture. Il provoque alors un arc électrique en cabine causant des blessures graves à un membre de l’équipage ». Mais comment en est-on arrivé là ?

Les essais du 22 juillet 2024 étaient émaillés de plusieurs soucis, qui sont au moins en partie le résultat de l’accident. Pour commencer, « en raison d’une difficulté à mettre en place la configuration en unité double prévue (deux pantographes), l’essai a finalement eu lieu en unité simple (un pantographe) », avec deux locomotives attachées ensemble. Un pantographe est un bras articulé qui relie la locomotive aux caténaires, les câbles dans lesquels circule le courant.

Lors des tests, le chef d’essai a demandé à l’ingénieur d’Alstom « que soit testé avant le départ, le pilotage d’un pantographe d’une locomotive depuis l’autre ». Problème, l’ingénieur « vérifie et constate qu’il n’est pas possible de piloter le pantographe d’une locomotive depuis l’autre locomotive ». La première partie du test se transforme en essai simple.

Une idée : installer un câble Ethernet entre les deux cabines

Après un premier voyage, l’ingénieur d’Alstom propose une autre solution : « piloter le pantographe d’une locomotive depuis l’autre via le passage d’un câble Ethernet entre les deux cabines », une solution déjà utilisée durant d’autres essais, selon l’ingénieur. Une tentative est lancée en passant par les fenêtres des locomotives, ajoute l’ingénieur de mesure pantographe de DB Systemtechnik.

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Problème, le « câble Ethernet disponible est trop court » et aucun câble suffisant grand n’est disponible à ce moment-là. Le chef d’essai décide donc de revenir à une configuration avec un pantographe et de continuer les essais.

À ce moment-là, l’ingénieur de DB Systemtechnik « branche l’extrémité extérieure du câble Ethernet dans un connecteur disposé sur le coupleur des deux locomotives, sans aucune autre fixation, et de manière provisoire le temps de la manœuvre ». De l’autre côté, le câble est simplement laissé libre à environ 30 cm du sol. « Personne ne se préoccupe du câble Ethernet resté dans l’état de sa tentative de pose », indique le rapport.

Un grésillement, un coup de pied, une forte décharge électrique

Vient ensuite le point de vue du chauffeur, ou plutôt du dirigeant qualifié du service de conduite (DQSC). Dans sa cabine se trouve de nombreux câbles électriques installés pour les besoins de l’essai : caméra, interphone, capteurs en tout genre, alimentation, ordinateurs… et donc un câble Ethernet, vestige d’une tentative de connecter les locomotives.

Le câble, qui pend par la fenêtre, est alors proche de sa jambe gauche, se met à grésiller : « Il souhaite le repousser vers l’arrière pour ne pas être dérangé à l’approche du point de mesure. Comme celui-ci grésille, il n’ose pas le toucher pour le repousser de la main. Il se lève contourne le fauteuil en se tenant à celui-ci, et, se disant qu’il ne s’agit que d’un câble basse tension de 12 V, il repousse le câble vers l’arrière avec son pied droit ».

Il est alors instantanément projeté dans la cabine. « A posteriori, il attribue son éjection à une contraction réflexe de ses muscles du fait d’une forte décharge électrique reçue. Il ne perd pas conscience mais ses vêtements prennent feu, principalement sa chaussure droite et son tee-shirt à manches longues ». Le rapport précise par exemple qu’une « flammèche sort de la semelle d’une des chaussures de sécurité ».

Le câble Ethernet touche le pantographe à 25 000 volts

Plus en détail dans le déroulement des faits, 15 seconde avant l’accident, « le câble Ethernet s’est détaché de son branchement à l’extérieur. Volant, il s’approche du pantographe n° 4 produisant de premiers effets électriques (grésillements et dégagement de chaleur) ». Lorsque le conducteur touche le câble avec son pied, « une explosion se produit à l’extérieur à l’avant en toiture, sur la gauche du pantographe n° 4. Elle dégage une fumée épaisse ».

Pendant la totalité du trajet, le pantographe n° 4 était baissé, donc pas en liaison directe avec la caténaire. « Toutefois, il était au potentiel de 25 kV par la ligne de toiture qui relie électriquement tous les pantographes, sur cette locomotive ». Pour le rapport d’enquête, les traces retrouvées « attestent que c’est un contact avec ce pantographe qui a alimenté le câble Ethernet en haute tension ».

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Des incidents, la qualité de préparation se détériore nettement

Le BEA-TT a « recensé de nombreux aléas significatifs qui ont impacté le déroulement de la campagne d’essais […] L’acquis de la qualité de préparation des opérations se détériore nettement, voire est aboli ».

Dans sa conclusion, le Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre explique que « la coopération [entre les équipes pendant le test, ndlr], d’abord ressource de résolution de problème, finit par induire une forme de cercle vicieux amenant à élaborer des solutions successives de plus en plus dans l’urgence, qui éloignent progressivement du cadre sécurisé pré-établi ».

Et pour ce qui est de l’oubli du câble qui a provoqué l’accident, le rapport dénonce « l’impréparation de la configuration de circulation d’essai en unité double en l’absence d’un deuxième conducteur. L’analyse met globalement en lumière des lacunes dans la gestion des modifications dans le déroulement des essais ».

Auteur : Sébastien Gavois

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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