Une concentration étrange de quasars, ces phares cosmiques, déroutent les cosmologistes !
Lorsque les premiers quasars ont été découverts au début des années 1960, ils ont dérouté les astronomesastronomes, tout d’abord parce qu’il est tout de suite apparu qu’ils étaient incroyablement lumineux, ce qui nécessitait une source d’énergie exotiqueexotique. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit de trous noirs supermassifs accrétant d’importantes quantités de gaz selon des scénarios pas encore parfaitement clairs cependant, même si l’on fait intervenir des fusions de galaxiesgalaxies et des filaments de matière noire froide.
Des quasars qui chamboulent à répétition la cosmologie ?
Au cours des décennies suivant leur identification, les astronomes vont montrer que les populations de quasars étaient nettement plus importantes il y a, grosso modo, entre 5 et 10 milliards d’années. Dès les années 1970, il était en fait clair que cette observation était difficilement réconciliable avec la théorie de l’UniversUnivers stationnaire défendue encore par Hoyle et Narlikar. En effet, selon cette théorie, le cosmoscosmos observable était en expansion de toute éternité et infini, créant de la matièrematière pour compenser sa dilution, peut-être même via les quasars. L’Univers devait donc être observé identique à lui-même, quels que soient le lieu et l’époque de son observation. Les quasars devaient donc être présents en formant une population inchangée par le temps et l’espace.
Aujourd’hui, nous avons une vision bien différente et nous relions l’évolution des quasars à l’évolution des galaxies et à la formation des amas de galaxiesamas de galaxies qui se rassemblent en formant des filaments entourant d’immenses régions presque vides, le tout sous l’influence des toujours mystérieuses énergie et matière noires.
Une équipe internationale d’astronomes vient toutefois de jeter un nouveau pavé dans la mare déjà bien trouble de l’origine et de la croissance des trous noirs supermassifs derrière les quasars, comme le prouve un article publié, dont une version est en accès libre sur arXiv.
Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche
En utilisant des observations à grand champ réalisées avec le télescopetélescope Subaru, combinées aux données du Sloan DigitalDigital Sky Survey (SDSS) les cosmologistes ont ainsi découvert un amas dense de quasars datant de 10,8 milliards d’années, soit la concentration la plus extrême de tels objets jamais observée dans l’Univers. Pour ces chercheurs, cela remet en question les idées actuelles sur l’emplacement et le mode de croissance des trous noirs supermassifs lors de la formation continue des structures de l’Univers primordial, explique un communiqué du National Astronomical Observatory of Japan (NAOJ).
Une anomalie avec une chance sur 1064 de se produire !
Les données collectées permettent de mettre en évidence 11 quasars regroupés dans une région de seulement 40 millions d’années-lumièreannées-lumière de diamètre alors que, jusqu’à présent, les distances entre quasars se comptaient en centaines de millions de kilomètres au minimum. Statistiquement, c’est une anomalieanomalie colossale de l’ordre de 17 sigmas comme le disent les scientifiques dans leur jargon. Plus concrètement, en invoquant seulement une fluctuation de localisation due au hasard, elle n’aurait qu’une chance sur… 1064 de se produire !
Il y a un autre problème. Un des scénarios classique, expliquant l’allumage des quasars et leur existence prépondérante pendant une époque bien précise de l’Univers observable, repose sur l’idée que, dans l’Univers jeune et dans les régions les plus denses des amas de galaxies, les distances entre ces astresastres étant petites, les collisions suivies de fusions entre galaxies étaient plus fréquentes, alimentant en gaz frais les quasars.
Mais, selon les observations du télescope Subaru, la concentration de quasars baptisée « Cosmic Himalaya » ne se trouvait pas à l’intérieur des principaux amas de galaxies, mais à environ 25 millions d’années-lumière. En fait, une cartographie précise de la distribution tridimensionnelle du gaz cosmique entre les galaxies montre que le pic de densité des quasars de cet Himalaya ne se trouvait ni dans les régions de gaz les plus denses ni dans les vides les plus profonds. Il se situait plutôt à l’interface entre gaz neutre et gaz ionisé.
Nous assistons peut-être à un moment rare dans l’histoire cosmique
Selon le communiqué du NAOJ, « cette configuration pourrait refléter une zone de transition dans la structure à grande échelle de l’Univers, où deux amas de galaxies en croissance interagissent ou s’assemblent le long d’une structure filiformefiliforme de galaxies et de gaz appelée filament cosmique. Plutôt que de marquer une structure mature, les quasars pourraient tracer une phase intermédiaire de croissance, où les trous noirs, les galaxies et le gaz intergalactique évoluent encore ensemble. Leur positionnement suggère un environnement dynamique façonné à la fois par la formation continue des structures et par la rétroactionrétroaction de l’activité des quasars ».
Pour Masami Ouchi, membre de l’équipe à l’origine de la découverte, « trouver une telle concentration de trous noirs actifs – et découvrir que la distribution des galaxies et du gaz qui les entourent s’écarte de notre vision conventionnelle de l’Univers – est véritablement stupéfiant. Il se pourrait que nous ayons simplement découvert un endroit unique et spécial dans le cosmos. Mais cela pourrait aussi indiquer quelque chose de plus profond : nous assistons peut-être à un moment rare dans l’histoire cosmique où de nombreux trous noirs deviennent actifs simultanément ».
Le saviez-vous ?
Il y a environ 60 ans, la technique des occultations a permis de déterminer la contrepartie dans le visible de ce qui n’était alors qu’une étonnante source radio puissante, 3C 273. Lorsque Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, a ensuite fait l’analyse spectrale de la lumière de l’astre toujours dans le visible, il découvrit avec stupéfaction des lignes d’émissions de l’hydrogène fortement décalées vers le rouge. Or, 3C 273 apparaissait dans le visible comme une étoile, alors que ce résultat impliquait qu’il se situât en dehors de la Voie lactée à une distance cosmologique. Pour être observable d’aussi loin, l’objet devait donc être d’une luminosité prodigieuse. D’autres quasi-stellars radio sources, des quasars selon la dénomination proposée en 1964 par l’astrophysicien d’origine chinoise Hong-Yee Chiu, n’allaient pas tarder à être découverts. On en connaît aujourd’hui plus de 200 000.
Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces astres qui, bien que libérant d’énormes quantités d’énergie, semblaient être de petite taille. On a d’abord pensé qu’il pouvait s’agir d’énormes étoiles dominées par les effets de la relativité générale, notamment responsables du décalage spectral, avant d’envisager assez rapidement qu’il pouvait s’agir de trous noirs supermassifs accrétant d’importantes quantités de gaz. Dans le bestiaire des astres relativistes que l’on commençait à explorer sérieusement pendant les années 1960, certains, comme le Russe Igor Novikov et l’Israélien Yuval Ne’eman, ont même proposé que les quasars soient en fait des trous blancs. C’est-à-dire soit des régions de l’Univers dont l’expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l’autre extrémité de trous de ver éjectant la matière qu’ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmos, voire dans un autre Univers.
Auteur : Laurent Sacco, Journaliste scientifique
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