Vénus n’est peut-être pas aussi géologiquement inactive qu’on le pensait
La géologie de la Terre est littéralement vitale. À la surface de notre planète, les plaques constitutives de la croûte se séparent et s’entrechoquent comme les pièces d’un puzzle planétaire en perpétuelle évolution. Ce cycle incessant de la tectonique terrestre fait s’élever les montagnes et trembler le sol, pendant que les volcans expulsent lave, roches et gaz. Ce processus contrôle le flux de carbone de la planète et stabilise son climat ; sans la tectonique des plaques, la Terre ne serait peut-être pas habitable.
Aucun autre monde rocheux de notre système solaire ne présente un degré d’activité géologique comparable. C’est du moins ce que les scientifiques pensaient jusqu’à récemment. Mercure, Mars et la Lune semblent essentiellement inertes. Mais Vénus, notre plus proche voisine et le seul autre grand monde rocheux autour du Soleil, commence à sembler beaucoup plus vivante qu’on ne le pensait. En 2023, les géophysiciens Robert Herrick, de l’université de l’Alaska à Fairbanks, et Scott Hensley, du Jet Propulsion Laboratory, ont découvert, en analysant les données radars de la sonde Magellan (elle a scanné le sol de Vénus entre 1990 et 1994), que la taille d’un édifice volcanique avait doublé en huit mois, entre deux passages successifs de Magellan. Un indice fort d’activité volcanique.
Un nouvel examen des données de la sonde vient de révéler cette fois l’existence d’une tectonique active, autour de dizaines de structures volcaniques circulaires appelées « couronnes ». Cette découverte constitue l’une des meilleures preuves à ce jour que Vénus n’est pas morte… du moins en ce qui concerne la tectonique.
« Vénus fonctionne différemment de la Terre, mais pas autant qu’on le supposait », explique Anna Gülcher, coautrice principale de l’étude, à l’université de Berne, en Suisse. « Il est extrêmement difficile de répondre à une question aussi fondamentale que celle de savoir si Vénus est vivante aujourd’hui », prévient pour sa part le planétologue Paul Byrne, de l’université de Washington à Saint-Louis, qui n’a pas participé à l’étude. Cette nouvelle preuve de l’activité géologique autour des couronnes suggère cependant que « le cœur de Vénus bat encore. Je pense que c’est extrêmement précieux pour comprendre notre voisine rocheuse ».
Jumelle maléfique
Vénus est surnommée la « jumelle maléfique de la Terre » pour une bonne raison : la planète est presque aussi grande que la Terre et sa composition est proche. Mais alors que la Terre est un monde aquatique et verdoyant, Vénus est un enfer brûlant, avec des températures suffisamment élevées pour faire fondre le plomb, un ciel morne et couvert en permanence, et une atmosphère si épaisse qu’elle écrase les engins spatiaux comme s’il s’agissait de boîtes de conserve.
Pendant longtemps, on a volontiers supposé que Vénus était aussi morte à l’intérieur qu’à l’extérieur. En l’absence de tectonique des plaques évidente – qui contribuerait à libérer la chaleur interne de la planète –, on pensait que l’intérieur de Vénus mijotait comme le contenu d’une marmite à couvercle étanche sur une cuisinière. Selon une hypothèse courante, cette marmite avait fini par déborder : il y a environ 800 millions d’années, l’enveloppe extérieure de la planète s’était déformée et toute la surface de Vénus avait été recouverte d’immenses coulées de lave fraîche. On pensait alors qu’après cette dissipation massive d’énergie, la géologie de la planète s’était mise à l’arrêt.
Mais les preuves d’activité se sont accumulées : celle d’une activité volcanique persistante (en 2023), et désormais d’une tectonique active, qu’Anne Gülcher et ses collègues viennent d’observer, et que l’équipe avait suggérée dès 2020, à l’aide de simulations estimant que les mystérieuses formes annulaires de la planète pourraient l’attester.
La tectonique désigne les processus qui déforment l’enveloppe extérieure fragile d’une planète rocheuse. Sur Terre, cette enveloppe externe – la lithosphère, qui comprend la croûte et une partie du manteau supérieur – est divisée en plaques tectoniques qui dérivent sur le manteau, chaud et plastique. Lorsque deux plaques entrent en collision, l’une d’entre elles peut glisser sous l’autre et plonger dans le manteau, selon un processus appelé « subduction ». Sur Terre, les plaques en subduction commencent à fondre en s’enfonçant, ce qui alimente les volcans situés le long des limites de plaques. Parmi ces volcans figurent par exemple le mont Fuji, au Japon, ou la chaîne des Cascades, dans l’ouest de l’Amérique du Nord.
Contrairement à la Terre, Vénus ne connaît pas de tectonique des plaques à l’échelle planétaire. La nouvelle étude d’Anne Gülcher et de ses collègues suggère toutefois qu’il pourrait se produire quelque chose de très similaire à la subduction autour des couronnes de Vénus.
Données gravimétriques
L’équipe a simulé plusieurs processus tectoniques susceptibles de se manifester dans ces régions et a comparé les résultats obtenus aux observations réelles recueillies par la sonde Magellan. Les comparaisons ne se sont pas limitées à la surface de la planète : les chercheurs ont utilisé les données gravimétriques pour analyser son sous-sol. Les roches chaudes sont en effet généralement moins denses que les roches froides, et ces variations de densité d’un endroit à l’autre sont susceptibles de modifier l’intensité du champ gravitationnel d’une planète. La cartographie spatiale de la gravité de Vénus établie par Magellan donne donc la possibilité d’évaluer la présence de matériaux chauds et légers sous une couronne, signe que des roches s’élèvent activement du manteau sous-jacent.
Sur les 75 couronnes que l’équipe a pu isoler dans les cartes gravitationnelles de Magellan, 52 semblent être géologiquement actives. Les données prédites et les données réelles s’alignent si bien pour certaines que « nous avions du mal à en croire nos yeux », s’enthousiasme l’autre coauteur principal de l’étude, Gael Cascioli, du Goddard Space Flight Center de la Nasa et de l’université du Maryland, à Baltimore County. La plupart des couronnes actives étaient entourées de tranchées, ce qui suggère que la croûte ancienne plonge dans le manteau de Vénus à la périphérie de ces anneaux rocheux, poussée vers le bas lorsque la roche plus légère remonte depuis le centre de la structure annulaire. « Très simplement, si quelque chose descend, c’est que quelque chose monte », explique Anne Gülcher. Là où la lithosphère est amollie et plus souple, des morceaux sont susceptibles de se détacher et de couler sous forme de gouttes dans le manteau. Là où la lithosphère est plus rigide, des plaques entières de croûte pourraient entrer en subduction, comme une version circulaire, à petite échelle, des zones de subduction de la Terre, telle celle qui forme la célèbre ceinture de feu volcanique de l’océan Pacifique.
Travailler avec des données vieilles de trente ans comporte une limite évidente : leur qualité est moindre que celle d’observations plus récentes. Mais la mission VERITAS (Venus Emissivity, Radio Science, InSAR, Topography, and Spectroscopy) de la Nasa [programmée pour 2031, ndlr] a le potentiel de faire beaucoup mieux. « L’amélioration serait extraordinaire », appuie Gael Cascioli. Au lieu d’être limité à l’analyse de 75 couronnes, l’ensemble de données gravitationnelles de VERITAS offrirait la possibilité d’examiner des centaines de ces étranges structures annulaires.
Dans un avenir relativement proche, Vénus est le seul autre grand monde rocheux que nous, ou nos émissaires robotiques, serons capables d’atteindre. Comprendre pourquoi la Terre et Vénus sont devenues si différentes malgré leurs nombreux points communs nous aide à éclairer l’histoire de notre propre planète et à savoir si les exoplanètes rocheuses que nous observons autour d’autres étoiles ressemblent davantage à la Terre ou plutôt à sa jumelle maléfique. « Vénus est le monde que nous comprenons probablement le moins, rappelle Paul Byrne. Il me semble être celui qui, cependant, est le plus important. »
Auteur : Elise Cutts
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