Vins et spiritueux français : Brésil, le nouvel eldorado ?
Alors que le secteur des vins et des alcools est confronté à des barrières sur ces marchés historiques, il pourrait se retourner vers le Brésil. Le pays coche toutes les cases d’un marché d’exportation, mais il mérite mieux que d’être considéré comme une roue de secours. La filière aurait tout intérêt à s’y intéresser durablement.
Le Brésil a longtemps été négligé par le secteur français des vins et des spiritueux. Depuis peu, les entreprises de la filière lui trouvent de nombreux attraits et le voient comme un marché particulièrement porteur. Comment expliquer ce revirement ? Une large partie de la réponse n’est pas liée aux caractéristiques du Brésil, même si le pays présente un potentiel marchand de grande ampleur pour le secteur des vins et spiritueux. La France est-elle prête à jouer sa carte ?
Si l’on découvre un peu subitement le Brésil dans le secteur français des alcools, c’est d’abord parce qu’il est urgent de trouver de nouveaux débouchés. Le secteur du vin et des spiritueux (essentiellement le cognac en France) a deux caractéristiques essentielles.
Une offre limitée
La première tient à une offre limitée. On ne peut pas produire au-delà d’un certain seuil. Dans les années fastes, globalement entre le milieu des années 2000 et le Covid, le vin français et le cognac étaient très demandés à l’international. Trois marchés absorbaient alors une large part de la production française : les États-Unis, la Chine et la Russie. La production était alors insuffisante pour alimenter d’autres marchés. Disons-le aussi, la motivation pour diversifier ses ventes n’était guère élevée du fait de débouchés importants vers ce trio de marchés lucratifs.
Ce manque de diversification se paie aujourd’hui. Car la seconde grande caractéristique du secteur des vins et spiritueux vient de ce qu’il est historiquement en première ligne des guerres commerciales. En tant que symbole de la culture et du savoir-faire français, mais aussi parce qu’il est en moyenne le deuxième excédent commercial de la France de ces vingt dernières années. Ce secteur est une cible privilégiée de nos partenaires lors de tensions commerciales ou politiques. Il existe de très nombreux exemples historiques.
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Victimes collatérales
Rappelons simplement la taxe Trump de 25 % sur les vins français (hors champagne) en octobre 2019, les récentes menaces de Trump contre ce même secteur fin 2024 (taxes à 200 %) ou encore les tarifs à 35 % de la Chine contre les brandys européens, et donc essentiellement le cognac. À chaque fois, le secteur se présente en victime collatérale dans une bataille qui ne le concerne pas : le conflit Boeing-Airbus en 2019 ou les taxes européennes sur les véhicules électriques chinois en 2024.
Si l’on ajoute à cela les tensions géopolitiques avec la Russie, le secteur des vins et spiritueux voit trois de ses plus grands marchés reculer simultanément, à des degrés divers.
Dans ce contexte, les destinations peu travaillées commercialement jusque-là revêtent soudainement des charmes aussi vifs que récents. D’où l’attrait pour de nouveaux pays comme le Brésil. Ce serait pourtant une erreur de considérer ce dernier comme un marché par défaut.
Une ouverture durable
Si la quête de nouveaux débouchés pour la filière vins et spiritueux est primordiale dans le contexte actuel de crise du secteur, elle doit se faire avec pertinence, rationalité et méthode. Les entreprises doivent viser de grands marchés, pour amortir leurs coûts fixes commerciaux, en croissance rapide et affichant une culture propice à l’achat de vins et spiritueux. En outre, dans une doctrine de « friend shoring », ces marchés doivent être considérés comme durablement accessibles. En d’autres termes, être plutôt des pays amis avec lesquels une relation commerciale de moyen ou de long terme est envisageable, sans crainte de fermeture brutale des frontières.
Bien entendu, plusieurs pays peuvent cocher un certain nombre de ces cases et aucun ne devra être négligé. Mais force est de reconnaître que le Brésil fait figure d’excellent candidat car il coche toutes les cases, ce qui est plus rare. Avec 213 millions d’habitants, le Brésil connaît une croissance économique moyenne de plus de 3,5 % depuis 2021). La crise des années 2010 semble aujourd’hui bien jugulée. Le pays achève sa transition démographique, mais reste un pays jeune et dynamique où le revenu par habitant augmente rapidement depuis le Covid, avec des projections très positives jusqu’à la fin de la décennie et une classe moyenne qui ne cesse de se développer.
Un pilier du Mercosur
Le Brésil n’est pas seulement un grand pays en croissance, c’est aussi un pays ami. Rappelons que le Brésil est le pilier du Mercosur. L’UE et le Brésil ont conclu un accord en 2019 pour éliminer 92 % des barrières tarifaires aux échanges entre les deux zones. Cet accord suscite des craintes dans le monde agricole français (et européen) mais des aménagements devraient être trouvés eu égard à l’importance des enjeux économiques. Les alcools français, actuellement frappés par des droits de douane de 27 %, entreraient librement au Brésil, comme les vins des concurrents chiliens et argentins. Une ratification pourrait dès lors être actée avant la fin de l’année avec la présidence danoise de l’UE qui débutera en juillet.
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Reste la culture. Le Brésil n’est pas un grand pays du vin. La consommation d’alcool est largement dominée par la bière et une sorte de rhum local (alcool issu de la canne à sucre), la cachaça. Mais la progression de la consommation de vin y est continue). Le vin est vu comme une boisson plus chic et consommée par les classes moyennes et supérieures situées en ville et souhaitant se démarquer.
Avec une consommation par habitant de trois litres par an et 50 millions de consommateurs réguliers, le potentiel reste considérable et les perspectives excellentes. Cette dynamique vaut aussi pour le secteur des spiritueux où certains alcools, comme le gin notamment, sont en train de percer grâce à l’adoption des cocktails en milieu urbain et sur les côtes.
La bonne image des alcools français
Les entreprises françaises peuvent profiter de l’évolution des goûts des consommateurs brésiliens. Les alcools français jouissent d’une bonne image. Certains producteurs ont déjà su articuler leurs produits avec la culture locale. Le fameux « Rosé piscine » d’une cave coopérative du sud de la France a ainsi connu un succès notable sur les plages brésiliennes, battant les records de vente de vin du pays).
Le marketing et le positionnement commercial seront cruciaux pour gagner des parts de marché, car la concurrence est très active également. Outre les vins locaux qui se développent, le marché brésilien du vin est dominé par le Chili et par le Portugal, qui bénéficient d’une proximité géographique, pour l’un, et culturelle, pour l’autre. Mais la France occupe déjà la 4ᵉ place des importateurs en valeur et la 6e en volume.
Sur le marché des spiritueux, la France domine même très largement le palmarès des importateurs. Attention cependant à rester accessible en termes de prix et de lisibilité du produit.
Les vins simples (non AOC) sont ainsi mieux accueillis par le plus grand nombre que des vins plus élitistes dont la proposition de valeur n’est pas comprise. Pour le vin comme pour les spiritueux, la construction de marques visuellement attractives et restant abordables sera prépondérante pour capter ce marché.
Le Brésil n’est peut-être pas un eldorado, comme on l’a cru de la Chine, mais la croissance du marché y paraît plus sûre à terme, moins volatile. L’enjeu face au déclin des marchés traditionnels est alors de trouver plusieurs pays comme le Brésil, sur tous les continents, pour concilier diversification et volumes d’exportations importants. Le salut du secteur français des alcools dépend de cette capacité à aller chercher ces nouveaux marchés.
Jean-Marie Cardebat est président le la European Association of Wine Economists
Auteur : Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Professeur affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux
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