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Yaïr Golan, un espoir en trompe-l’œil pour sauver l’image d’Israël

Si les récents propos du leader de la gauche sioniste, Yaïr Golan, qui a critiqué de façon très virulente la conduite de la guerre à Gaza, participent à créer des brèches dans une union militariste à laquelle il a abondamment contribué, les réactions suscitées par ses déclarations disent aussi beaucoup de la réalité d’une société qui consent très majoritairement à la politique conduite à l’encontre des Palestiniens.


« Un pays sain ne fait pas la guerre à des civils, n’a pas pour hobby de tuer des bébés, ne se fixe pas pour objectif d’expulser des populations. »

C’est ce qu’a déclaré Yaïr Golan, le leader du parti de gauche sioniste Les Démocrates (HaDemocratim), le 20 mai dernier à la radio publique israélienne. Il a ajouté qu’Israël serait « en passe de devenir un État paria ». Ces propos ont été immédiatement condamnés par Benyamin Nétanyahou, qui a dénoncé la « décadence morale » de Golan et qualifié ces déclarations de « calomnies antisémites ».

Deux jours plus tard, Golan surenchérissait : après l’assassinat de deux employés de l’ambassade d’Israël à Washington, il a accusé le premier ministre israélien d’alimenter « l’antisémitisme et la haine envers Israël […], mettant en danger chaque Juif à travers le monde ». Toutefois, face au tollé suscité, il a rétropédalé quelques jours plus tard sur Channel 12, affirmant notamment qu’« Israël ne commet pas de crimes de guerre à Gaza » et que sa prise de parole ne visait qu’à « sauver l’image de l’État d’Israël ».


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De l’ex-premier ministre Ehud Olmert à l’ancien ministre de la défense Moshe Ya’alon, les prises de parole se sont multipliées ces dernières semaines en Israël, comme parmi certains de ses soutiens en Occident, pour dénoncer la crise humanitaire dans la bande de Gaza. Toutefois, celle de Golan rencontre un écho majeur : issu du champ politique sioniste, il s’agit d’une figure de premier plan de l’opposition à Nétanyahou et d’un candidat déclaré aux prochaines élections, prévues en octobre 2026.

Face à une société israélienne qui affirme explicitement son soutien à l’écrasement des Palestiniens, rares sont les responsables politiques qui tiennent un discours à contre-courant. Cependant, entre méconnaissance des réalités politiques de la société israélienne et volonté de sauver l’image d’Israël en présentant des figures alternatives à Nétanyahou, un certain prisme de cette séquence tend à fantasmer un face-à-face entre l’actuel premier ministre et le leader d’une force politique qui est, en réalité, toujours demeurée loyale au consensus colonial dont elle a bâti les fondations.

Comment le 7 Octobre a propulsé Yaïr Golan sur le devant de la scène

Dans la matinée de l’attaque du Hamas, Yaïr Golan, la soixantaine passée, se rend de sa propre initiative dans la zone afin de secourir des civils. Il n’occupe alors plus aucun rôle politique majeur, puisque, aux dernières législatives, tenues en novembre 2022, le parti de gauche sioniste pour lequel il était candidat, Meretz, n’est pas parvenu à franchir le seuil électoral de 3,25 % nécessaire pour obtenir des représentants à la Knesset.

Le récit de son action ce jour-là (il a évacué en voiture plusieurs civils tentant d’échapper aux assaillants) lui offre une visibilité médiatique conséquente, et cela d’autant plus qu’il participe au consensus militariste qui prévaut pendant les jours qui suivent : le 13 octobre 2023, il plaide dans une interview pour « affamer » la bande de Gaza aussi longtemps que tous les captifs n’auront pas été libérés. Quelques semaines plus tard, il se montre plus modéré dans ses déclarations en appelant à résoudre la crise humanitaire à Gaza. Cet appel, au vu de ses propos, ne se fonde pas sur une quelconque empathie envers les Palestiniens, qu’il considère comme responsables de leur propre sort, mais sur l’importance pour Israël de garder le soutien de ses alliés.

« Gaza : qui est Yaïr Golan, cet ex-général israélien qui défie Nétanyahou ? », Ouest-France (30 mai 2025).

Issu d’une famille juive ashkénaze, Golan a suivi le cursus politique classique des leaders de la gauche sioniste, entre mouvement de jeunesse et carrière militaire. À des postes divers, il participe à l’invasion du Liban de 1982, à la répression de la première (1987-1993) et de la seconde Intifadas (2000-2005), et à l’opération Plomb Durci sur la bande de Gaza pendant l’hiver 2008-2009. En 2016, alors qu’il est chef d’état-major adjoint de l’armée depuis deux ans, il déclenche une polémique en comparant la montée de l’extrême droite en Israël à l’Europe des années 1930.

Il entre officiellement, et tardivement, en politique en 2019 aux côtés de l’ancien premier ministre et ex-chef du parti travailliste (HaAvoda) Ehud Barak, avec qui il forme le parti démocratique israélien (Yisrael Demokratit), lequel rejoint l’Union démocratique (HaMahaneh HaDemokrati) – une alliance de partis issus de la gauche sioniste, ce qui permet à Golan de devenir député lors des élections de septembre 2019. Il adhère ensuite à l’historique Meretz, avec lequel il devient membre de la coalition gouvernementale anti-Nétanyahou qui dirige Israël de l’été 2021 à sa dissolution à l’hiver 2022.

Favorable à la fusion des partis de la gauche sioniste, voire plus largement de toutes les forces qu’il identifie comme démocratiques, libérales et anti-Nétanyahou, Golan est élu à la tête du parti travailliste en mai 2024 et officialise la fusion avec son ancienne formation, Meretz, pendant l’été qui suit. Les deux formations laissent place au parti Les Démocrates, dont Golan prend la direction avec l’objectif ambitieux de remettre la gauche sioniste au centre du champ politique israélien.

L’échec de l’utopie sioniste de gauche

L’hégémonie de la gauche sioniste en Israël pendant les trente premières années du pays a largement été documentée, tout autant que son effritement au profit de la droite nationaliste au cours des décennies suivantes. Parmi les principales raisons de cet effritement : des bouleversements démographiques et socio-économiques majeurs, la montée en puissance des forces favorables à la colonisation et à l’annexion des Territoires palestiniens occupés en 1967, ainsi que l’échec du « processus de paix ». La droitisation d’Israël est généralement présentée en miroir de la montée des partis nationalistes et d’extrême droite dans de nombreux pays occidentaux ; mais cette vision empêche d’appréhender la particularité politique d’Israël.

« Israël : le désarroi de la gauche », Arte (23 octobre 2023)

Fruit d’un colonialisme de peuplement, la société israélienne est dès 1948 tiraillée entre plusieurs dynamiques. D’une part, le nationalisme juif constitue le ciment d’une société en construction, dont les référents religieux s’avèrent pratiques pour façonner les normes et les valeurs. D’autre part, la colonialité, entendue comme la prégnance de rapports coloniaux de domination entre les groupes qui forment la société, structure la manière dont Israël « gère » la question palestinienne : en 1948, près de 800 000 Palestiniens sont contraints à l’exil forcé et empêchés par tous les moyens de revenir, tandis que les quelque 150 000 qui deviennent « citoyens israéliens » sont soumis à un régime militaire d’exception et à un ensemble de lois qui institutionnalisent, jusqu’à aujourd’hui, leur infériorité juridique comme politique.

Dans une telle configuration, les valeurs socialisantes portées par la gauche sioniste au pouvoir, qui ne profitaient factuellement qu’à la population juive, n’avaient aucune chance de demeurer au cœur de la vie sociale et politique sans, notamment, un processus de décolonisation. Une perspective évidemment utopique dès lors que celle-ci aurait mené à la fin même du projet sioniste, entre droit au retour des réfugiés palestiniens sur leur terre et établissement d’une pleine égalité de toutes les populations.

Dès lors, colonialisme de peuplement et nationalisme pouvaient aisément prospérer, pénétrer toutes les strates de la société, et se radicaliser à mesure que les Palestiniens revenaient dans les pages de l’Histoire en revendiquant leurs droits. D’une certaine manière, le basculement d’une hégémonie de la gauche sioniste à celle de la droite nationaliste symbolise la volonté aujourd’hui d’une majorité de la société juive israélienne de faire payer aux travaillistes leur acceptation à donner du crédit aux revendications palestiniennes, via les « Accords d’Oslo » et la symbolique poignée de mains entre Arafat et Rabin.

Depuis 2009 et l’arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou (premier ministre sans discontinuer hormis la période allant de juin 2021 à décembre 2022), la droite israélienne s’est employée à traduire cette volonté de revanche dans toutes les sphères de la société en plaçant ses valeurs au cœur des réformes de l’éducation, des unités combattantes de l’armée ou des médias.

Ce processus de radicalisation, à la fois progressif et particulièrement brutal, était une réalité bien avant 2023, comme en attestent plusieurs enquêtes d’opinion réalisées dans les années 2010, mais a connu une accélération évidente avec le 7 octobre : cela s’illustre désormais par le très large consentement de la société juive israélienne à l’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza, de Cisjordanie, mais aussi d’Israël.

L’armée, pilier intangible de la société

Les crimes commis dans la bande de Gaza depuis vingt mois, dont le caractère génocidaire est à présent pointé par un large consensus, ne sont pas seulement la résultante d’un désir de vengeance d’une société traumatisée par l’attaque du Hamas : il s’agit d’une démonstration, par la praxis, de la profonde aspiration d’une population à voir le « problème palestinien » être définitivement réglé. Les Israéliens n’ignorent pas cette réalité coloniale qui veut que la création de leur État n’ait été possible que par l’expulsion des autochtones. Un « mal pour un bien » qu’il faudrait aujourd’hui réitérer au nom, prétendument, de la protection d’Israël : conquérir et coloniser Gaza permettrait à Israël d’unifier la totalité de la Palestine, tout en opérant un nouveau basculement démographique.

Sauf que ce projet politique aux accents messianiques est entravé par la question des captifs. Si jusqu’à la fin de l’année 2024 ces derniers servaient pour le gouvernement de prétexte à la destruction de la bande de Gaza et au déplacement de sa population, la deuxième trêve, qui a permis une seconde salve de libération, est accueillie avec soulagement par l’opinion publique israélienne. D’après les différentes enquêtes d’opinion, celle-ci soutient majoritairement, depuis le printemps 2024, la signature d’un accord avec le Hamas afin de préserver la vie des Israéliens retenus dans l’enclave palestinienne. Un souhait porté dès l’hiver 2023 par Golan, assurément l’un des premiers leaders politiques et des plus présents aux côtés des familles de captifs.

La décision du gouvernement, le 18 mars 2025, de reprendre des bombardements intensifs et de mobiliser les réservistes afin de réengager l’occupation terrestre de Gaza provoque en Israël un mouvement de contestation d’ampleur. Il n’en demeure pas moins que la nuance est majeure : la mobilisation de la population ne se fonde pas sur la dénonciation des crimes commis à l’encontre des Palestiniens, mais essentiellement sur l’inquiétude face au sort des captifs. Institution élevée presqu’au rang de religion civile, outil indispensable à la pérennité du projet sioniste, l’armée israélienne est auréolée d’une moralité à toute épreuve : elle est censée être l’aboutissement du cursus scolaire et le socle de la formation du citoyen. Si elle se trouve en procès, c’est mécaniquement toute la société qui est mise en cause. Ainsi, c’est à la suite d’une mobilisation des réservistes que certaines voix, à l’instar de celle de Golan, peuvent s’exprimer, mais jusqu’à une certaine limite.




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L’une des illustrations politiques de cette réalité se trouve dans les réactions aux déclarations de Golan présentées dans l’introduction de cet article. Promis par les sondages à un score important de quinze voire seize députés en cas de nouvelles élections, il a immédiatement perdu de trois à quatre sièges. Alors même qu’il avait activement soutenu l’invasion du Liban à l’été 2024, puis s’était exprimé très durement à l’encontre de la décision de la Cour pénale internationale d’émettre des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens, il se retrouve exclu du service de réserve sur décision du ministre de la Défense, Israel Katz.

Une opposition loyale au consensus colonial

L’alternative « sioniste démocratique » défendue par Golan enthousiasme les derniers bastions des tenants de l’utopie sioniste de gauche. Plus largement, le désir de voir l’actuel gouvernement tomber et être mis hors-jeu est largement partagé parmi les « amis d’Israël » en Occident. C’est assurément ici que se situe l’espoir en trompe-l’œil autour de Golan. En le présentant comme une alternative possible à Nétanyahou, les diplomaties occidentales, frileuses à l’idée de sanctionner Israël, s’appuient sur ce genre de figure pour affirmer qu’un Israël radicalement différent est possible. Un faux-semblant qui fait fi de la réalité de ce qu’est la société israélienne et de ses rapports de force politique : outre Golan, le reste de l’opposition sioniste mainstream se compose de libéraux (Yaïr Lapid), de nationalistes (Benny Gantz et Avigdor Liberman) et de sionistes religieux ayant rompu avec Nétanyahou (Naftali Bennett).

Dans l’hypothèse où il se placerait, au terme des prochaines élections, comme le premier opposant au Likoud, tout porte à croire que Golan se tournera vers ces figures explicitement hostiles aux droits des Palestiniens. Outre leur volonté de barrer la route à Nétanyahou, Golan partage avec eux une fidélité au sionisme : raison pour laquelle la gauche radicale, composée de Juifs non ou anti-sionistes, et de Palestiniens d’Israël, attachés à articuler leur lutte contre la colonisation des Territoires palestiniens occupés à la colonialité de la société israélienne, demeure exclue de toute alliance gouvernementale.

Il ne s’agit pas de nier l’existence de manifestants brandissant à Tel-Aviv le visage d’enfants palestiniens de Gaza, l’importance dans le contexte actuel du meeting « pour la paix » It’s Time ou des militants de Standing Together qui protègent les convois humanitaires face aux attaques de nervis d’extrême droite, mais de constater qu’à deux reprises en 2024 le Parlement israélien a très majoritairement voté contre tout projet d’État palestinien : en juillet, ils n’étaient que neuf sur cent-vingt à le soutenir. Une opposition à laquelle adhèrent 71 % des Israéliens.

Entre crime de génocide, nettoyage ethnique et annexion, les Palestiniens sont exposés à un risque majeur et potentiellement irréversible de ne plus pouvoir espérer exercer une quelconque forme de souveraineté sur leur terre.

Le logiciel qui a prévalu pendant des décennies, cherchant à miser sur des « personnalités modérées et raisonnables » de chaque société pour espérer négocier un accord de paix sans préalablement agir pour mettre fin à la colonisation et à l’occupation, doit enfin et définitivement être considéré comme hors sol. Face à l’urgence, il ne s’agit plus de savoir qui parmi les responsables politiques israéliens serait, peut-être et sous quelle forme, favorable à un accord minime avec les Palestiniens, mais quelles actions internationales peuvent être entreprises au plus vite pour stopper la politique israélienne.

Yaïr Golan, un espoir en trompe-l’œil pour sauver l’image d’Israël

Thomas Vescovi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Auteur : Thomas Vescovi, Doctorant en sciences politiques dans le cadre d’une co-tutelle entre l’ULB et l’EHESS, Université Libre de Bruxelles (ULB)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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