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À quoi sert le doctorat ? Ce que nous apprend l’histoire du diplôme le plus élevé de l’université

Dans le paysage des diplômes, le doctorat occupe une place particulière. Non seulement il s’agit du grade universitaire le plus élevé mais il ne se contente pas d’attester de la maîtrise de compétences, il prouve aussi la capacité à produire des savoirs nouveaux. Comment s’est-il fait reconnaître sur le marché de l’emploi ?


Par mesure d’économie, la loi de finances 2025 a brutalement supprimé le dispositif « Jeune docteur », qui permettait aux entreprises proposant un premier CDI à des docteurs de bénéficier d’un crédit impôt recherche (CIR) particulièrement avantageux pendant deux ans.

Une intense mobilisation s’est alors structurée, visant au rétablissement d’un système qui a permis une hausse spectaculaire du nombre de titulaires de doctorat embauchés depuis sa réforme en 2008 : on note une augmentation de 32 % en pharmacie, de 28 % en informatique.




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Cet épisode rappelle que l’apport du doctorat au monde de l’entreprise ne va toujours pas de soi, en France du moins : alors qu’il s’agit du titre le plus élevé de l’enseignement supérieur, il reste très mal connu, en particulier des recruteurs du secteur privé.

Il est vrai que le doctorat n’est pas un diplôme comme les autres : puisque la thèse sert aujourd’hui à prouver la capacité à produire des savoirs nouveaux, la soutenance est le seul examen où le jury en sait moins sur le sujet traité que la candidate ou le candidat. Or, du point de vue d’un recruteur, un diplôme sert avant tout à prouver la conformité et la maîtrise de savoirs acquis.

Comment dès lors un titre en est-il venu à prétendre certifier l’incertifiable, c’est-à-dire l’originalité et la nouveauté ? Quel est le rôle du doctorat dans l’organisation des mondes savants, dans la structuration des disciplines – et, partant, peut-il constituer un levier de politique scientifique pour certains acteurs, pour l’État mais aussi pour les entreprises ? Et au fond, qui s’engage dans une telle aventure, avec quels objectifs et pour quels résultats ?

Entre spécialisation et érudition, la jeunesse du doctorat

Pour peser ces enjeux du doctorat, le projet Ès lettres – Corpus des thèses de doctorat ès lettres en France au XIXe siècle s’est penché sur son histoire, en partant de la création de l’Université impériale en 1806-1808 : c’est à ce moment-là que le doctorat acquiert sa place de sommet des études dans les facultés des sciences et des lettres. Il est alors conçu comme une barrière et un niveau régulant l’accès au sommet de la hiérarchie universitaire. Il répond là à un besoin, délimiter le sommet de la nouvelle corporation enseignante laïque que Napoléon Ier veut au service de l’État.

Les thèses ne font alors qu’une ou deux dizaines de pages, puisqu’il n’est pas question de faire progresser le savoir ou la science : le doctorat doit surtout permettre de démontrer une certaine habileté rhétorique, une maîtrise des savoirs et pratiques canoniques.


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Mais les fonctions concrètes du titre dépassent rapidement cet objectif. À partir des années 1830, à la suite de l’action de Joseph-Victor Leclerc, doyen de la faculté des lettres de Paris de 1832 à 1865, les thèses deviennent des livres, de plus en plus épais. Ce n’est que dans un second temps que les règlements actent cette évolution de fait, en 1840 pour les facultés des lettres et en 1848 pour celles des sciences. On comprend ainsi mieux que Louis Pasteur, dans une lettre au ministre de l’instruction publique du 1er septembre 1848, tienne encore à préciser : « mes thèses pour le doctorat sont des thèses de recherche ».

À partir des années 1860, la quête de distinction pousse non seulement les impétrants à soumettre des savoirs nouveaux, mais aussi à chercher l’érudition et l’exhaustivité. La IIIᵉ République achève de canoniser la thèse, autour de ces valeurs de spécialisation, de nouveauté et d’érudition, ce que marque par exemple la création en 1885 d’un Catalogue des thèses et écrits académiques, national et officiel, dont la publication est assurée par le ministère de l’instruction publique – première initiative mondiale de ce type.

Diversifier les profils et attirer des étudiants étrangers

Le titre monte en puissance mais n’intéresse alors que les carrières universitaires. La question d’éventuels autres usages du titre ne se pose pas au XIXe siècle, où le nombre de doctorats décernés ne dépasse guère les besoins de la reproduction du système, dans un contexte où l’immense majorité des candidats, en sciences comme en lettres, préparent leur thèse en enseignant dans le secondaire. On compte ainsi, pour la totalité de ce siècle, un peu plus de 1 000 docteurs ès sciences, pour autant de docteurs ès lettres.

Au début du XXe siècle, lorsque le développement des laboratoires de sciences expérimentales, dans le secteur public comme dans l’industrie, exige un afflux de main-d’œuvre, sans élargissement des possibilités de carrière académique, cet apport est assuré par le biais de titres nouveaux, qui ne donnent aucun droit professionnel.

Le doctorat d’université, créé en 1897, est ainsi destiné à attirer des étudiants étrangers dans les laboratoires français, en allégeant les prérequis à la soutenance, mais sans leur ouvrir la carrière universitaire française. Soulignons que les étudiantes vont se saisir de cette opportunité pour renforcer leur présence dans les études doctorales : si les deux premières docteures ès lettres, Léontine Zanta et Jeanne Duportal, soutiennent en 1914, 14 femmes ont obtenu un doctorat d’université auparavant, en commençant par Charlotte Cipriani en 1901.

Le titre d’ingénieur-docteur, créé en 1923, entend quant à lui certifier des stages de deux ou trois ans dans des laboratoires de recherche académique par d’anciens élèves d’écoles d’ingénieur.

Le doctorat de troisième cycle, enfin, créé à partir de 1954, est destiné à mettre en place une formation à la recherche. S’il n’accorde officiellement que des prérogatives limitées, sa création constitue sans doute la réforme la plus discrète et la plus profonde de l’enseignement supérieur au XXe siècle. Jusque-là le doctorat gardait de ses origines l’absence d’ambition de formation, se limitant à la rédaction et à la soutenance des thèses, l’idée fondamentale étant que le talent savant apparaît aléatoirement, qu’il ne se cultive ni ne se renforce, que la thèse est et ne peut être qu’une œuvre personnelle.

Avec la massification de l’activité scientifique, cette conception recule, à mesure que le développement du travail en équipe impose l’existence d’une formation commune aux chercheurs, à des vitesses variables selon les disciplines.

Les doctorants, indispensables aux laboratoires

Tout laisse à penser que c’est l’expansion et la massification de l’enseignement supérieur et de la recherche opérées dans les années 1950-1960 dans un contexte de plein emploi qui ont transformé le rôle des candidats et candidates au doctorat.

Les sciences, en particulier les sciences physiques, sont là au premier plan : entre 1944 et 1968, si le nombre d’étudiants des facultés des sciences quintuple, celui des docteurs ès sciences est multiplié par treize. Leur rôle devient alors indispensable à l’activité scientifique elle-même. Depuis cette période, les laboratoires ont besoin d’un apport constant de doctorants et doctorantes, tout en ne pouvant leur offrir de perspectives de carrière académique stable qu’en période de croissance du système d’enseignement supérieur et de recherche.

À quoi sert le doctorat ? Ce que nous apprend l’histoire du diplôme le plus élevé de l’université

Chaque période de ralentissement de la croissance universitaire provoque dès lors, mécaniquement, des désajustements entre anticipations des doctorants d’une part, nécessités de l’enseignement et de la recherche d’autre part, et, enfin, réalités des opportunités d’emplois.

Les premiers constats concernant les difficultés d’insertion des docteurs et docteures sur le marché du travail datent ainsi du début des années 1970. Ces difficultés sont provoquées par la fermeture brutale des recrutements : la création nette d’emplois dans l’enseignement supérieur et dans la recherche publique passe de 15 à 2 % entre 1968 et 1973, alors que le nombre de docteurs augmente de 60 %.

Pour sortir de cette impasse, dès 1971, le doctorat commence à être présenté comme une formation « par » et non seulement « pour » la recherche, afin de faciliter le passage de ses détenteurs et détentrices vers l’extra-académique. L’Association nationale des docteurs ès sciences (Andès), créée en octobre 1970, se fait le fer de lance de cette conception, avec comme objectif de jouer un rôle dans le rapprochement entre docteurs et industries.

Dans son orbite apparaissent progressivement des associations d’aide au placement dans les entreprises, appelées « bourses de l’emploi », à l’initiative des physiciens de Grenoble et d’Orsay. Ces structures se fédèrent en juin 1980 au sein de l’Association Bernard-Grégory (ABG).

Tout laisse à penser que la création du doctorat unique en 1984, soutenue par l’Andès, l’ABG et en particulier son président Jacques Friedel, avait ainsi pour objectif d’ouvrir le champ des possibles des jeunes chercheurs, en mettant en commun les avenirs offerts par des titres aussi différents que le titre d’ingénieur-docteur, le doctorat de troisième cycle et le doctorat d’État, tout en réservant à un autre titre, créé pour l’occasion, l’habilitation à diriger des recherches (HDR), la reproduction du sommet de la hiérarchie universitaire.

Mais l’image du doctorat s’en trouve dès lors durablement brouillée, tant il apparaît dès lors destiné à des secteurs d’emplois variés. La question qui se pose dès lors est de savoir comment cristalliser à nouveau une identité claire pour ce diplôme – indépendamment des coups de barre ministériels.

The Conversation

Pierre Verschueren a reçu des financements de GIS CollEx Persée.

Auteur : Pierre Verschueren, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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