« Arianespace a l’ambition de faire jusqu’à huit lancements en 2025 », affiche son président exécutif
« Cette année, c’est l’année de l’accélération, puisqu’on a l’ambition de faire jusqu’à huit lancements, ce qui est considérable« , assure mercredi 7 mai, David Cavaillolès, le président exécutif d’Arianespace. L’Europe est de nouveau dans la course spatiale grâce aux deux lancements réussis en quelques semaines seulement de deux lanceurs d’Arianespace.
Il y a d’abord eu un lancement commercial réussi pour Ariane 6, le 6 mars, avec à son bord un satellite militaire. Et le 29 avril, une autre réussite avec le lancement d’une plus petite fusée, Vega C, après des retards et quelques déboires.
franceinfo : Qu’est-ce que vous vous dites aujourd’hui, après les lancements réussis de mars et avril ?
David Cavaillolès : Effectivement, c’était extrêmement important qu’on réussisse ces deux premiers lancements. 2024 a été une année de transition, après des retards, après des difficultés. On avait fait des lancements peu nombreux mais très importants. On avait eu le premier vol d’Ariane 6 en 2024, le retour en vol du lanceur Vega. Cette année, c’est l’année du rebond, c’est l’année de l’accélération puisqu’on a l’ambition de faire jusqu’à huit lancements, ce qui est considérable. Les deux premiers ont été des grands succès, maintenant, on veut accélérer.
Arianespace est un acteur européen, filiale d’ArianeGroup, avec quelque 8 300 salariés en France, en Allemagne. C’est une entreprise détenue à 50-50 par Safran et Airbus. Ces lancements réussis, c’est un carnet de commandes qui est rempli pour la suite ?
En fait, le lanceur Ariane 6 commence son exploitation. C’est un lanceur qui est jeune. On a fait deux lancements mais évidemment on va faire beaucoup plus. Aujourd’hui, on a plus de 30 lancements en carnet de commandes. Ça signifie qu’on a des années d’activité déjà assurées devant nous. Évidemment, l’enjeu premier maintenant, c’est de réussir les lancements, que nos clients soient contents, qu’ils aient envie de revoler avec nous.
« Le second enjeu, c’est de continuer de remplir ce carnet de commandes avec à la fois des clients publics – l’Union européenne, les États membres ont des fortes ambitions en matière spatiale – mais également avec des clients commerciaux à l’export partout dans le monde. »
David Cavaillolèssur franceinfo
Quelles retombées pour l’économie et pour l’industrie française cela représente-t-il ?
Je crois que ce qui est fabuleux dans le spatial, c’est que c’est une technologie phénoménale. C’est impressionnant de voir un lancement, mais en fait, notre activité va bien au-delà des lancements. Les satellites qu’on met en orbite, cela a des retombées directes pour les citoyens. Typiquement, vous évoquiez le premier lancement qu’on a fait cette année : c’était un lancement pour l’armée française, pour un satellite de reconnaissance et d’observation et d’ores et déjà, grâce à ce lancement, on permet à nos forces armées partout dans le monde d’avoir accès à des informations extrêmement précieuses. Plus récemment, la semaine dernière, on a lancé un satellite, Biomass, qui vise à surveiller les forêts, à les analyser, à les étudier partout dans le monde. Cela va nous aider à lutter contre le changement climatique, cela va nous aider à préserver la biodiversité. Et tout cela, évidemment au bénéfice des citoyens.
Comment est-ce qu’on se positionne quand on est Arianespace face à la domination américaine ?
Moi, j’ai pris mon poste il y a un peu plus de trois mois et j’ai déjà rencontré des clients aux quatre coins du monde. Et ce qui est frappant, c’est que, quasiment à l’unisson, tous les clients me disent : on ne peut pas accepter de dépendre d’un seul fournisseur. C’est insupportable, c’est un risque bien trop grand, donc on a besoin d’Arianespace, on a besoin d’Ariane 6. Cela explique la dynamique commerciale et je pense que, plus que jamais aujourd’hui, dans un monde qui est quand même complexe, avec une dynamique géopolitique qui est incertaine, les acteurs en Europe et au-delà ont besoin d’un lanceur européen au rendez-vous, fiable. Et c’est ce qu’on fait.
Amazon fait appel à vous pour développer sa constellation de satellites de télécommunications Kuiper. Avec la nouvelle donne géopolitique que vous avez mentionnée, craignez-vous que demain, Amazon ne fasse plus appel à vous ?
Depuis des décennies, on a des coopérations extrêmement fructueuses avec les Américains. Le fameux télescope James Webb, le télescope le plus cher de l’histoire, l’un des plus utiles aussi, j’espère, a été lancé avec succès par Arianespace. Effectivement, plus récemment, on a signé ce contrat absolument majeur avec Amazon.
« J’ai rencontré le patron d’Amazon Kuiper récemment, plus que jamais, il compte sur nous. »
David Cavaillolèssur franceinfo
Il compte sur notre fiabilité, il compte sur notre capacité à monter en cadence pour les aider à déployer cette constellation. Et donc, nous, notre job, c’est d’être au rendez-vous pour que ces clients soient satisfaits et continuent l’aventure avec nous.
Amazon peut-il renoncer à faire appel à vous parce qu’il aura une consigne gouvernementale, ou parce que cela coûtera trop cher, avec la perspective de la hausse des droits de douane ?
Ce que je veux, c’est qu’Amazon ne puisse plus renoncer à travailler avec nous parce qu’on rend un service de grande qualité. C’est ça l’enjeu. Et donc, d’ici la fin de l’année, on fera le premier lancement pour Amazon. Au passage, pour moi, c’est quand même une preuve de la qualité de ce qu’on fait, que les entreprises les plus innovantes au monde fassent appel à Arianespace. On met donc tout en œuvre. Les équipes sont pleinement mobilisées aux côtés des équipes d’Amazon pour permettre la réussite de ce premier lancement. Et ensuite, on va accélérer.
La nouvelle donne géopolitique vous apporte-t-elle aussi de nouveaux clients, des clients institutionnels qui se disent que c’est mieux de faire appel à un acteur européen aujourd’hui ?
En fait, depuis des années chez Arianespace, on explique que l’autonomie stratégique, la capacité à lancer soi-même ses satellites où on veut, quand on veut, sans dépendre d’un tiers, c’est capital. Et aujourd’hui, effectivement, on est plus entendus que jamais. Au niveau européen, il y a énormément de projets.
« Au niveau de la Commission européenne, en France, en Allemagne, en Italie, il y a énormément de projets d’infrastructures spatiales parce qu’aujourd’hui, les décideurs se rendent compte de l’importance du spatial pour des usages civils, mais aussi pour des usages militaires. »
David Cavaillolèssur franceinfo
Maintenant, évidemment, il faut que ces projets deviennent concrets. On travaille main dans la main avec les pouvoirs publics pour rendre tout cela concret.
Ces acteurs institutionnels, ces clients européens, ils ne peuvent pas faire appel à un Américain ou un Chinois demain ?
En réalité, ils pourraient. Une spécificité, c’est à quel point les marchés américains, chinois, russes sont captifs. Les Américains lancent avec SpaceX, avec ULA, ils ne lancent pas avec Ariane, les Chinois et les Russes non plus. En Europe c’est différent. Et nous, évidemment, on prône un principe de préférence qui nous mette simplement à égalité des autres grandes puissances. Et maintenant, qu’Ariane 6 est là, maintenant qu’Ariane 6 fait la preuve de sa fiabilité, je pense qu’il est grand temps de rendre concret ce principe de préférence.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette année 2025 ?
À court terme, la priorité, c’est de réussir les six lancements qui sont devant nous. Ça va être extrêmement intense. Il faut avoir en tête que pour Ariane 5, il a fallu dix ans pour arriver à faire cinq lancements par an. Là, on y sera quasiment en un an. C’est une révolution, c’est un vrai défi. Je peux vous dire que les équipes travaillent dur et sont mobilisées, mais on va tout mettre en œuvre pour que ça fonctionne. Et évidemment, nous, on est là pour durer. Donc on a un carnet de commandes, on a plusieurs années de visibilité, c’est bien. Maintenant, on veut aussi se projeter sur l’avenir plus lointain, avec notamment la réutilisabilité. Ce genre de technologies, bien sûr, ce sont des sujets qu’on regarde.
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