Bien-être ou bientraitance animale : à qui profitent les mots ?

Faut-il parler de bien-être ou de bientraitance animale ? Bien que proches, les deux expressions ne sont ni équivalentes, ni neutres.
Bientraitance est un terme récent, apparu à la fin du siècle dernier et modelé sur son antonyme maltraitance, lui-même dérivé de maltraiter. Bientraitance signifie en général « fait de bien traiter un enfant, une personne âgée ou dépendante, un malade, etc. ; l’ensemble des bons traitements eux-mêmes ». Il s’applique donc en premier lieu à des humains en situation de vulnérabilité de par leur âge, leur état de santé ou d’autres formes de dépendance.
Pour les animaux non humains, la Commission d’enrichissement de la langue française définit l’expression bientraitance animale de façon comparable :
« Ensemble des dispositions mises en place pour fournir à un animal des conditions d’environnement de nature à contribuer à son bien-être ou à diminuer son mal-être, telles qu’une nourriture, un logement, des conditions de transport et des soins adaptés. »
Des mots proches, mais des perspectives différentes
La tentation est grande d’assimiler bientraitance à bien-être, alors que les perspectives de ces deux termes sont opposées. La bientraitance considère le point de vue de l’individu qui « traite », le bien-être, celui de l’individu « traité ». La bientraitance consiste en un ensemble de pratiques dont le but est d’assurer le bien-être, mais n’y fait pas référence directement : elle est obligation de moyens, pas de résultats. Le bien-être est un objectif de résultats beaucoup plus exigeant que le respect des règles de la bientraitance, règles d’ailleurs définies par les personnes chargées de leur application et qui n’en ressentent pas intimement les conséquences.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
La symétrie bientraitance/maltraitance est ici trompeuse : autant frapper induit à coup sûr une souffrance ou un mal-être, autant la bientraitance animale, surtout si définie de façon négative (ne pas frapper les animaux, appliquer des techniques de gestion conçues pour leur éviter la faim, la soif, les lésions et les maladies, etc.), ne suffit pas pour assurer un état de bien-être, que l’on considère l’acception première de ce terme (« sentiment général d’agrément, d’épanouissement que procure la pleine satisfaction des besoins du corps et/ou de l’esprit »), ou même celle récemment adoptée par l’Anses pour les animaux non humains (« état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes »).
Ces considérations sur les différences essentielles entre bientraitance et bien-être ont incité les personnes préoccupées par les conditions de vie des autres animaux à condamner l’usage de bientraitance animale et à promouvoir celui de bien-être, davantage orienté vers une prise en compte de la situation réelle des animaux.
Les aspects problématiques de bien-être
Cependant, l’emploi de bien-être animal n’est pas non plus sans poser de sérieuses difficultés. En effet, contrairement à son correspondant anglais welfare, bien-être est un terme intrinsèquement positif. Alors que poor welfare désigne de mauvaises conditions de vie, l’expression mauvais bien-être est un oxymore. Bien-être animal, utilisé dans les textes réglementaires pour désigner de façon globale les conditions de vie des animaux non humains, ne peut donc renvoyer de façon cohérente et convaincante à une réalité souvent terrible, qu’on devrait de toute force faire évoluer.
Étant donné la connotation positive associée à bien-être, il n’est pas étonnant que les industries exploitant les animaux non humains se soient rapidement approprié ce terme. En particulier, celles de l’élevage l’utilisent abondamment pour leur communication, y compris dans le contexte de l’abattage.
C’est notamment pour ces raisons qu’a émergé l’expression mal-être animal pour désigner de façon générale les conditions de vie des animaux non humains, en grande majorité marquées par d’incontestables défauts de bien-être. Après le recentrage sur les animaux autres qu’humains opéré par le passage de bientraitance à bien-être animal, il nous semble maintenant temps d’affronter la réalité de leurs conditions de vie en les nommant sans euphémismes pernicieux.
La série « L’envers des mots » est réalisée avec le soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues du ministère de la Culture
Marie-Claude Marsolier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Marie-Claude Marsolier, Directrice de recherche en génétique, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Aller à la source