Alors que de plus en plus de jeunes Européens suivent des études supérieures, la manière de gérer cette massification varie beaucoup d’un pays à l’autre. Tom Chevalier, chercheur en science politique, et Patricia Loncle-Moriceau, professeure de sociologie, en dressent un état des lieux dans les Politiques de jeunesse, publiées en juin 2025 aux PUF (« Que sais-je ? »). En voici un extrait permettant de mieux situer la position de la France par rapport à ses voisins.
Une part de plus en plus importante des jeunes poursuit des études supérieures en Europe. Or, celles-ci peuvent prendre des formes différentes d’un pays à l’autre.
Le développement de l’université : pour qui ? Pour quoi ?
Historiquement, les systèmes universitaires étaient « élitistes » dans le sens où une petite partie des jeunes poursuivait des études supérieures. Toutefois, en raison de l’essor de l’économie de la connaissance, les systèmes universitaires se sont développés dans la plupart des pays européens, abandonnant progressivement ces systèmes « élitistes » à faible participation et approchant de l’objectif de 50 % d’une cohorte diplômée de l’enseignement supérieur. La première grande différenciation porte alors sur le mode de financement de cette massification de l’enseignement supérieur : d’un côté, ce financement peut être porté par le secteur public, comme cela a été le cas dans les pays nordiques tels que la Suède, tandis que, de l’autre côté, il peut passer plutôt par des financements privés, comme au Royaume-Uni.
Pour aider les personnes à financer leurs études, la deuxième dimension structurant les différences institutionnelles entre systèmes renvoie à l’ampleur des aides individuelles, d’un côté, et au niveau des frais de scolarité, de l’autre. En croisant ces deux caractéristiques, Garritzmann a montré qu’il existait « quatre mondes des finances étudiantes », avec des frais de scolarité élevés et des aides importantes (Royaume-Uni), des frais de scolarité élevés mais des aides peu développées (États-Unis), des frais de scolarité peu élevés et peu d’aides (Japon) et des frais de scolarité faibles mais des aides importantes (Suède).
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Enfin, si l’enseignement supérieur a historiquement promu des compétences dites « générales », c’est-à-dire transférables d’un emploi à un autre, certains pays ont développé des pans d’enseignement supérieur destinés à la production de compétences élevées mais « spécifiques », en fonction des besoins de leur économie. Durazzi a ainsi montré que, lorsqu’une économie était surtout structurée autour d’une industrie 2.0, la production de telles compétences, permettant de multiplier par exemple le nombre d’ingénieurs, était encouragée. C’est ce qui a, par exemple, abouti au développement en Allemagne des matières dites STEM (science, technologie, ingénierie, mathématiques) et des universités de sciences appliquées.
Des expériences étudiantes hétérogènes
L’enseignement supérieur ne se définit pas seulement par son fonctionnement interne en tant que service, c’est-à-dire à propos de la façon dont il délivre du savoir et des compétences à ses publics. Plus généralement, il s’inscrit dans un paysage de politiques publiques et d’institutions qui façonnent également les expériences étudiantes, c’est-à-dire la façon dont les jeunes vivent ces années de formation.
Dans une analyse comparée des systèmes universitaires français, anglais et suédois, Charles s’est également penché sur les formes que prenaient les expériences étudiantes, structurées par les conceptions de la justice sociale qui innervent ces systèmes. En France, le mérite est objectivé par les notes produites par le corps enseignant et par l’importance des concours : il s’agit d’une méritocratie scolaire où la place de l’État est centrale. Le parcours d’études renvoie à l’image du TGV : il faut bien choisir sa destination, car il n’y aura que très peu de possibilités de changement et tout ira très vite, de façon linéaire.

En Angleterre, le mérite est tout aussi important, mais sa conception est différente, dans le sens où il déborde le seul enjeu scolaire pour intégrer les motivations, la vie extrascolaire et les potentialités des jeunes. L’individualisation y est plus poussée puisqu’il s’agit d’essayer d’apprécier la « valeur personnelle » des jeunes dans leur globalité lors des procédures d’admission. Le parcours d’études ressemble davantage à la circulation automobile : tout le monde peut aller où il veut, mais chacun possède une voiture différente. Les parcours peuvent donc être très différents, individualisés, mais aussi très inégalitaires en raison de l’importance des dotations initiales et du coût des études.
En Suède, enfin, le mérite n’est qu’un mal nécessaire à l’orientation, face auquel l’idéal de la seconde chance est promu : les universités sont ainsi obligées de réserver un tiers de leur recrutement sur la base des notes obtenues dans le secondaire, un tiers sur la base d’un test d’aptitude que tout le monde peut passer (ce qui permet les retours en études et donc les deuxièmes chances), le tiers restant étant laissé à leur discrétion. Les études sont ainsi plutôt organisées comme le métro : il s’agit d’une infrastructure collective où chacun se déplace où et comme il veut, et où il est possible de revenir en arrière, mais aussi de changer de destination ou de wagon.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
Auteur : Patricia Loncle-Moriceau, Professeure en sociologie, École des hautes études en santé publique (EHESP)
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