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L’ESA à la croisée des chemins : l’urgence et la nécessité d’une autonomie dans les vols habités

L’ESA à la croisée des chemins : l’urgence et la nécessité d’une autonomie dans les vols habités

Plutôt que de nous épancher sur le passé brillant de l’Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA), qui fête ses 50 ans ce mois-ci, et marqué par des missions emblématiques comme RosettaRosetta, Huygens ou l’ATV, nous avons choisi de nous intéresser à son avenir dans le domaine de l’exploration et des vols habitésvols habités. Ce futur pourrait différer considérablement de ce qu’a été l’ESA jusqu’à aujourd’hui.

Urgence d’un changement de stratégie

S’exprimant à l’Assemblée nationale, lors d’une audition organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur le vol spatial habité, Didier Schmitt, responsable des programmes futurs du directorat dédié à l’exploration humaine et robotiquerobotique de l’ESA, a « souligné l’urgence d’un changement dans l’approche européenne en matière de vols habités ».

L’idée d’une autonomie dans le domaine des vols habités « repose sur un consensus inédit parmi les 23 États membres de l’ESA »

Si, jusqu’à présent, l’ESA a privilégié « la coopération internationale au lieu de développer sa propre infrastructure de transport spatial habité », cela a limité ses capacités et son influence dans l’arènearène spatiale mondiale. Toutefois, face à l’actualité outre-Atlantique, l’idée d’une autonomieautonomie dans le domaine des vols habités « repose sur un consensus inédit parmi les 23 États membres de l’ESA ». « C’est quelque chose de nouveau, qui n’a pas été le cas ces dernières années », tient-il à préciser. En tout cas, ce qui est nouveau, c’est la situation internationale inédite où la dépendance se paie au prix fort.

Un Conseil ministériel stratégique

Ce nouveau cadre pourrait insuffler une dynamique renouvelée à l’ESA, notamment en raison de son prochain Conseil ministériel prévu début novembre. Ce conseil, qui rassemblera les ministres européens responsables des questions spatiales au sein des États membres, revêt une importance capitale pour définir les orientations stratégiques de l’agence. Cela se fera dans le contexte de l’application des nouvelles orientations politiques et stratégies de la Nasa en matière de vols habités ainsi que des implications potentielles sur ses partenariats internationaux. Les décisions, actuellement en discussion au Sénat, qui en découleront pourraient non seulement façonner l’avenir des missions habitées européennes, mais aussi renforcer la position de l’Europe dans l’exploration spatiale, lui ouvrant la voie vers une autonomie accrue par rapport à ses engagements actuels.

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Renaissance des ambitions européennes

Ce désir de raviver l’ambition spatiale européenne se manifeste par l’idée de relancer un programme similaire au projet Hermès des années 1980, abandonné en 1992, qui aurait permis à l’Europe d’avoir sa propre autonomie en matière de vol habité, ce qui ne fut pas le cas avec l’avènement de l’ISSISS. Aujourd’hui, la situation politique a changé : l’émergenceémergence de nouvelles puissances, comme la Chine et l’Inde, l’ère du New Space et la privatisation du secteur spatial imposent à l’Europe de ne pas manquer ce virage. Les destinations aussi ont changé. Alors que les États-Unis et la Russie se contentaient de l’orbite basse, aujourd’hui, la LuneLune, Mars et des astéroïdesastéroïdes sont de nouvelles destinations à conquérir. Didier Schmitt rappelle que « l’Homme sur Mars n’est pas seulement une lubie d’Elon Musk ». Les États-Unis vont réorienter leurs efforts vers Mars au détriment de la Lune, tandis que la Chine pourrait célébrer le centenaire du parti communiste en 2049, vraisemblablement avec un équipage sur Mars, ou autour de la Planète rouge.

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Bâtir une stratégie unifiée

L’ESA doit ainsi « saisir l’occasion de développer une stratégie unifiée pour l’exploration, tirant parti de la réorientation annoncée des priorités de la NasaNasa dans plusieurs domaines », assène Didier Schmitt. Une approche intégrée et synergique du point de vue des briques technologiques, englobant le LEOLEO, la Lune et Mars, qui « maximiserait les ressources tout en consolidant la position de l’Europe comme acteur clé dans l’exploration spatiale ». En novembre 2023, à la suite du Sommet de politique spatiale de Séville, l’Europe a élaboré une « stratégie d’exploration, incluant des décisions importantes comme le développement d’un véhicule cargo pour des missions aller-retour en orbite basse », avec deux contrats signés avec The Exploration Company et Thales Alenia Space. Deux ans plus tard, force est de constater que la stratégie d’autonomie ne doit pas rester lettre morte et doit maintenant être pleinement déployée. Comme le souligne Didier Schmitt, « il y a un consensus total avec nos États membres que la stratégie est « trump-proof » ; aucune modification n’est nécessaire, mais il faut l’appliquer à la lettre ».

Options post-ISS

Dans ce contexte, avec la fin prévue de la Station spatiale internationale (ISS) en janvier 2031, la « nécessité de trouver une nouvelle destination en orbite basse devient pressante ». Cette urgence se fait d’autant plus sentir que l’ESA doit maintenant entrer dans la phase de production de son véhicule cargo sous forme de service commercial).

Parmi les différentes options à l’étude, l’industrie européenne, avec le soutien de l’ESA, envisage de « fournir des modules à des stations spatiales privées américaines ». En s’associant à une station spatialestation spatiale privée, l’ESA pourrait, en contrepartie de cette collaboration, bénéficier de droits d’utilisation et d’occupation pour ses propres astronautes, assurant ainsi un accès privilégié à ces nouvelles infrastructures et consolidant sa présence dans l’orbite basse terrestre, essentiellement avec un troc incluant son vaisseau cargo.

Une autre option envisagée serait la création d’une station spatiale « conçue sous l’égide de l’ESA, en collaboration avec des partenaires privés ou d’autres nations, comme l’Inde, afin d’offrir des modules et des services de transport d’équipage ». Cette station ne serait pas nécessairement habitée en permanence, permettant ainsi une flexibilité dans son utilisation et son fonctionnement tout en maximisant l’efficacité des missions. Ces deux scénarios seront présentés lors du prochain Conseil ministériel de novembre, un moment clé pour définir l’avenir de l’exploration spatiale européenne et affirmer le rôle de l’ESA dans un paysage en constante évolution.

La question du véhicule habité

Ce Conseil sera déterminant pour définir l’avenir de l’ESA et constituera un moment charnière pour définir les orientations futures, surtout en relation avec les choix de la Nasa. L’ESA devrait également « proposer des scénarios inédits pour l’exploration de la Lune et de Mars (ndlr : dont le programme LightShip) et devra aussi décider si elle doit faire ou pas réaliser un véhicule habité ». Depuis l’abandon d’HermèsHermès, cette question revient fréquemment à l’agenda.

Les décisions à venir, notamment autour du Conseil ministériel de 2025, seront déterminantes pour l’avenir de l’exploration spatiale européenne

Deux voies se dessinent : soit reproduire les modèles établis depuis 70 ans, soit choisir d’innover et d’assumer un leadership. La première option consiste en « un véhicule dérivé du cargo, déjà capable d’emporter 4 tonnes de fret et d’en redescendre 2 tonnes », tandis que l’autre explore la possibilité d’un « véhicule plus évolué, manœuvrable qui pourrait de facto couvrir aussi les besoins des forces armées européennes ». Dans ce domaine, l’Europe ne part pas de zéro et plusieurs études ont été réalisées en Allemagne, en Angleterre ou en Suisse et en France, dont celles de Dassault avec son projet VortexVortex et le véhicule Susie d’ArianeGroup.

L’importance du lanceur

Quant au lanceurlanceur, Ariane 6 fera très bien l’affaire. Comme le précise Didier Schmitt, il ne sera pas nécessaire de le redéfinir pour des vols habités. si « Ariane 6Ariane 6 vole 50 fois d’affilée sans incident, elle sera de fait qualifiée pour emporter une véhicule habité ». Il sera néanmoins nécessaire de développer une tour d’extraction. C’est exactement ce qu’ont fait SpaceXSpaceX et Elon MuskElon Musk avec le Falcon 9Falcon 9 utilisé aujourd’hui autant pour le lancement de satellite que le vol habité.

Conclusion

Les options technologiques envisagées reflètent aussi un équilibre à trouver entre la nécessité d’innovations et la capacité financière, mais aussi avec de nouveaux acteurs comme justement le secteur de la défense pour des raisons d’actualité.

L’ESA est à un carrefour. Sa décision d’amorcer une autonomie en matière de vol habité aura des répercussions qu’on pourrait qualifier d’historiques sur l’avenir de l’exploration spatiale en Europe.

Face aux défis croissants, une volonté affirmée de leadership pourrait permettre à l’Europe de se distinguer et de s’affirmer comme un acteur incontournable sur la scène spatiale mondiale. Les décisions à venir, notamment autour du Conseil ministériel de 2025, seront déterminantes pour l’avenir de l’exploration spatiale européenne.

Auteur : Rémy Decourt, Journaliste

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Artia13

Bonjour ! Je m'appelle Cédric, auteur et éditeur basé à Arles. J'écris et publie des ouvrages sur la désinformation, la sécurité numérique et les enjeux sociétaux, mais aussi des romans d'aventure qui invitent à l'évasion et à la réflexion. Mon objectif : informer, captiver et éveiller les consciences à travers mes écrits.

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