
Les théories masculinistes, anti-féministes et sexistes se banalisent sur les réseaux sociaux où elles ciblent les jeunes adolescents. Voici ce que les parents doivent savoir sur ces communautés misogynes pour aider leurs enfants à ne pas se faire duper en ligne.
Le succès de la série Netflix Adolescence, ainsi que les inquiétudes suscitées par des influenceurs misogynes tels qu’Andrew Tate, ont propulsé la « manosphère » au cœur du débat public.
De nombreux parents, en particulier ceux de jeunes garçons, craignent de ne pas en savoir assez sur ce à quoi leurs enfants sont exposés en ligne. Je mène des recherches sur la misogynie radicale et sur les chemins qui mènent les jeunes vers ces communautés. Voici ce que les parents doivent savoir sur la « manosphère » sur Internet.
Qu’est-ce que la « manosphère » ?
La « manosphère » est un réseau de communautés qui créent, consomment et diffusent sur Internet des contenus destinés aux hommes et aux garçons. Elle comprend plusieurs groupes qui diffèrent par leurs objectifs et leurs centres d’intérêt, mais qui sont tous largement antiféministes.
Ces groupes défendent la « cause masculine », mais discutent aussi de sujets divers comme la santé, les jeux vidéo, la politique ou la finance. Ils banalisent les discours haineux à travers des mèmes, des blagues et du trolling (messages offensants ou agressifs) – en faisant comme si c’était des manières de se défendre – ou des jeux, voire des outils pour gagner de l’argent. En raison de ce brouillage, les parents peuvent avoir du mail à identifier, et les enfants à prendre conscience, des messages extrêmes auxquels ils sont exposés.
Les messages de la manosphère sont promus par divers influenceurs sur les réseaux sociaux. Ces influenceurs mettent souvent en scène leur richesse ou un statut social inatteignable, et vendent ainsi à leurs followers l’illusion qu’ils peuvent eux aussi réussir en suivant leurs enseignements.
L’influenceur le plus connu de la manosphère est Andrew Tate, qui s’est fait connaître en 2022. Lui et son frère Tristan font actuellement l’objet d’une enquête en Roumanie pour viol, traite d’êtres humains et blanchiment d’argent, et au Royaume-Uni pour viol et traite d’êtres humains. Il n’est pas le seul influenceur dans ce cas.
Des conceptions irréalistes de la virilité
Ces dernières années, plusieurs incidents violents ont été liés aux communautés de la « manosphère ». L’ampleur des effets des masculinistes dans le monde réel est difficile à mesurer, et tous ceux qui s’engagent dans la « manosphère » ne commettront pas nécessairement des actes violents. Mais il est clair que ces communautés tendent à promouvoir et banaliser la violence et les discours haineux, et à diffuser des idées négatives et dégradantes sur les femmes et les filles.
Il est toutefois important de noter que ces communautés nuisent également aux hommes et aux jeunes garçons. La « manosphère », en mettant en avant des conceptions irréalistes de la virilité, des stéréotypes d’une masculinité dominante et des mesures extrêmes – comme des techniques de manipulation visant à obtenir des rapports sexuels avec des femmes –, peut entraîner une mauvaise estime de soi, des problèmes de santé mentale et, dans certains cas, le suicide. Ces communautés exploitent les vulnérabilités et les insécurités des garçons et des jeunes hommes, en particulier celles liées à l’isolement social et au rejet sexuel.
Désinformation et pseudoscience
Les contenus diffusés sur Internet dans la manosphère reposent largement sur la désinformation ou des théories pseudoscientifiques. S’appuyant sur des bases fausses, ces hommes expliquent être les victimes du féminisme.
La « règle des 80/20 » en est un bon exemple. Elle fait référence à la théorie pseudoscientifique selon laquelle 80 % des femmes ne sont attirées que par les 20 % des hommes les plus séduisants. Dans les groupes masculinistes, cette théorie circule en particulier chez les célibataires involontaires (qu’on appelle aussi les « incels) », qui reprochent aux femmes de les rejeter.
Les influenceurs et autres membres de la manosphère expliquent étape par étape comment faire pour améliorer son statut social, parfois moyennant finance. Cela passe souvent par des transformations physiques extrêmes, une tendance connue sous le nom de « looksmaxxing » (maximiser, « maxxing », son apparence physique, « looks »), qui peut même aller jusqu’à la chirurgie faciale dans le but d’augmenter son attractivité physique et sa « valeur » sexuelle. Il va sans dire que les dangers pour la santé sont réels.
Le lexique de la manosphère
La manosphère dispose d’un vaste lexique qui sert à inciter à la haine envers les femmes et à attiser la rivalité entre les hommes. Voici quelques termes courants :
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Pilule rouge (Red Pill) : c’est la philosophie fondamentale de la manosphère. Elle est inspirée du film Matrix. La pilule représente le choix métaphorique offert aux hommes : la pilule rouge, c’est une prise de conscience de l’oppression des hommes par le féminisme. La pilule bleue, c’est choisir de rester dans l’ignorance, et la pilule noire, utilisée par les incels, c’est l’acceptation de leur célibat « définitif ».
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Amog (mâle alpha du groupe), Alpha, Lambda, Omega, Sigma, Sub-5 – Ces termes classent et comparent les hommes et leur statut social. Alors que les mâles sigma et alpha ou Amogs dominent au sommet de la hiérarchie, les betas sont moins désirables, les lambdas sont « invisibles » et les oméga sont au bas de l’échelle.
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White Knight, Soyboy : termes péjoratifs désignant les hommes faibles, considérés comme soumis aux femmes.
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Awalt (All women are like that, « toutes les femmes sont comme ça »), Foid/Femoid (female humanoid, « humanoïde femelle »), Becky, Carousel : termes utilisés pour dénigrer et déshumaniser les femmes.
Les parents ne doivent pas paniquer s’ils entendent leurs enfants utiliser des expressions issues de la manosphère. Ils n’en saisissent peut-être pas complètement le sens et sont peut-être tombés dessus par hasard. Cependant, des changements dans la façon dont les garçons parlent des femmes et des filles, un retrait de la famille et des amis, et l’utilisation fréquente de ces termes peuvent indiquer qu’ils sont influencés par la manosphère.
Soutenir votre enfant
La plupart des adolescents seront confrontés à un moment ou à un autre à des contenus de la « manosphère », souvent par le biais de recherches innocentes et sans rapport avec ce sujet. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils adhèrent aux valeurs misogynes propagées par ces groupes.
Voici quelques mesures que vous pouvez prendre pour soutenir votre enfant.
1. Explorez ensemble Internet
Une étude commandée par l’autorité de régulation des médias britanniques Ofcom a révélé que les enfants étaient plus susceptibles de tomber sur des contenus préjudiciables lorsque leurs parents s’intéressaient peu à ce qu’ils faisaient. Regarder des contenus en rapport avec les loisirs de vos enfants et leur envoyer des contenus qui pourraient leur plaire peut aider à entraîner les algorithmes à promouvoir des contenus plus modérés et ouvrir la voie à la discussion.
Interagir en ligne avec votre enfant peut être un moyen naturel d’entamer une conversation sur ce à quoi il est exposé. Il est important de ne pas essayer d’intervenir ou de critiquer, mais plutôt de comprendre pourquoi il aime regarder certains influenceurs ou certains contenus.
2. Encouragez la réflexion et l’éducation aux médias
Des étudent suggèrent qu’apprendre aux enfants à être critiques vis-à-vis de ce qu’ils voient en ligne peut les immuniser contre la désinformation et la mésinformation.
Les exemples les plus évidents de désinformation auxquels ils sont susceptibles d’être confrontés dans la « manosphère » peuvent prendre la forme de statistiques, de résumés de rapports dits « universitaires » et d’articles d’actualité sur des cas d’agressions commises par des femmes, ou de fausses accusations de viol. Ils peuvent également trouver des contenus trompeurs dans des publications éducatives ou de développement personnel, sur l’amélioration de leur apparence physique ou sur la réussite.
Demandez à vos enfants pourquoi ils font confiance à certains influenceurs et où, selon eux, leurs amis trouvent leurs informations. Ce type de questions peut les aider à développer leurs propres compétences en matière de vérification des faits sans que cela ressemble à une leçon.
3. Posez des questions ouvertes
Il peut être gênant de demander à vos enfants ce qu’ils consomment ou quel vocabulaire ils utilisent en ligne. La meilleure façon de contourner cela est de poser des questions ouvertes simples telles que « Comment les garçons de ta classe parlent-ils des filles ? » ou « As-tu déjà entendu parler de… ? »
Ce que vous entendrez peut être choquant, mais abordez le sujet avec curiosité, sans jugement ni idée préconçue, afin de leur faire comprendre qu’ils peuvent se confier à vous.
Si le comportement de votre enfant vous inquiète, vous pouvez aussi aller chercher de l’aide auprès de professionnels.
Annabel Hoare ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Annabel Hoare, PhD Student in Gender-Based Political Violence, Anglia Ruskin University
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