Numérique responsable en entreprise : le paradoxe du bon élève ?

Si les usages continuent de progresser au rythme actuel, l’empreinte carbone du numérique en France pourrait augmenter de 45 % sur la période 2020-2030 et tripler sur la période 2020-2050. Parallèlement, les pratiques numériques écoresponsables en entreprise se développent.
Deux enquêtes montrent que celles-ci restent conditionnées à un niveau de connaissance du sujet et se diffusent au sein des entreprises les plus numérisées.
L’empreinte carbone du numérique représente 4,4 % des émissions de la France en 2022. Les équipements et infrastructures numériques sont responsables de 11,3 % de la consommation électrique française (14,3 % si on inclut la consommation des data centers à l’étranger mobilisés pour les usages français).
L’empreinte environnementale du numérique regroupe l’ensemble des effets des technologies numériques, liés à leur fabrication, à leur utilisation et à leur fin de vie. Cela va de l’extraction de métaux rares nécessaires à la fabrication de nos smartphones, des ordinateurs et des serveurs, à la gestion des déchets électroniques, en passant par la consommation énergétique des équipements et des data centers. Les impacts environnementaux du numérique sont multiples : émissions de CO2, raréfaction des ressources, pollution de l’air et de l’eau.
Parallèlement, le numérique est souvent présenté comme le secteur dont le développement va permettre de réduire l’empreinte environnementale de la plupart des autres secteurs d’activité. Pourtant, selon le Shift Project, les retombées du numérique en termes de décarbonation de la société s’avèrent difficiles à mesurer et non garanties, voire illusoires.
Si les entreprises ont leur part dans cet état des lieux, elles sont nombreuses s’engager vers des usages numériques plus responsables. À partir de deux enquêtes réalisées en 2021 et en 2023, nous avons identifié les pratiques numériques écoresponsables d’un échantillon représentatif d’établissements de 10 à 500 salariés localisés en Bretagne. Ces pratiques restent conditionnées à un niveau de connaissances minimal du sujet et se diffusent majoritairement au sein des entreprises les plus numérisées.
Des pratiques numériques écoresponsables en croissance
Par pratiques numériques écoresponsables, nous entendons les différentes actions qui peuvent être mises en œuvre par les établissements afin de réduire leur empreinte écologique liée au numérique. Il peut s’agir d’actions visant à sensibiliser le personnel sur leurs usages numériques, à optimiser la consommation énergétique, ou encore à mieux gérer la quantité et le choix des matériels utilisés.
Six actions étaient identifiées dans le questionnaire 2023, cinq en 2021. La part des établissements qui déclarent mettre en œuvre chacune des actions a augmenté sur la période. Les actions qui répondent à des objectifs économiques autant qu’écologiques ont connu une plus forte augmentation et restent les plus adoptées en 2023.

Fourni par l’auteur
Les actions qui n’ont pas d’impact économique direct restent moins fréquentes et ont une croissance bien plus faible sur la période.

Fourni par l’auteur
Si les pratiques numériques écoresponsables semblent se renforcer au sein des établissements, le degré d’engagement reste très disparate. 12,7 % des établissements sont très engagés – 5 ou 6 actions déclarées parmi les 6 proposées – 20,6 % d’entre eux le sont très peu – une seule action déclarée ou aucune.
L’importance accordée aux actions de réduction des impacts du numérique est variable. 40,2 % des répondants estiment que la réduction de l’impact environnemental des équipements et usages numériques de l’établissement est une action prioritaire ; pour 41,6 % c’est une action secondaire ; pour 15,3 % elle est sans importance.
Sensibiliser pour impliquer
Un point qui semble faire consensus est la nécessité de sensibiliser les personnes aux impacts du numérique. Dans un article récent, des chercheurs de l’Université de Mons, défendent la nécessité de sensibiliser les nouvelles générations à la sobriété numérique. En 2020, « un numérique responsable et souverain » est une des cinq grandes thématiques au cœur de la réflexion des États généraux du numérique pour l’éducation. Le Code de l’éducation prévoit une formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques dans les écoles et les établissements d’enseignement. En 2021, la loi Réduction de l’empreinte environnementale du numérique (REEN) y intègre une sensibilisation à l’impact environnemental des outils numériques ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique dans les écoles et à l’université ; un module sur l’écoconception des services numériques est intégré dans les formations d’ingénieur en informatique.
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L’hypothèse implicite : la connaissance des impacts du numérique est un moteur de la mise en œuvre d’une politique numérique plus responsable. Nos résultats vont dans ce sens. Les établissements les plus impliqués dans la réduction de leur empreinte environnementale sont aussi les mieux informés. Le niveau de connaissance des enquêtés – membres de l’équipe de direction de l’établissement – sur le numérique responsable et plus généralement sur la transition écologique reste très faible. Plus de la moitié d’entre eux – 56,1 % – n’ont jamais entendu parler de la Stratégie nationale bas-carbone. L’Institut Numérique Responsable reste inconnu de 77,5 % des répondants ; les travaux du Shift Project de 86,4 % et la loi REEN de 87,5 % d’entre eux.
Numérisation versus sobriété : le paradoxe du bon élève ?
Nos résultats soulignent que le degré d’engagement dans des actions numériques écoresponsables est directement proportionnel au niveau d’équipement numérique, ainsi qu’à l’effort d’investissement de l’établissement dans le numérique. Il est important d’encourager les « bons élèves » qui mettent en œuvre des actions écoresponsables. Mais gardons en tête que réduire la fréquence de renouvellement, avoir recours à des produits reconditionnés, prendre en compte les écolabels dans ses achats ou encore optimiser la consommation énergétique d’un parc informatique de plus en plus vaste ne réduira pas l’empreinte globale.
On entend souvent que « l’énergie la plus propre est celle qu’on ne consomme pas » ; ne devrait-on pas aussi dire : « le numérique le plus responsable est celui qu’on n’utilise pas » ?
DELTOUR François est membre de l'Association Information et Management.
Virginie Lethiais ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Virginie Lethiais, Maître de conférences HDR en Economie, IMT Atlantique – Institut Mines-Télécom
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