Pourquoi les grands instruments scientifiques sont-ils remplis de vide ?

Dans notre quotidien, ce qui nous apparaît comme des espaces vides sont en fait remplis de milliards de molécules de gaz, le « vrai » vide se trouve essentiellement dans l’espace. Certains grands instruments scientifiques doivent pourtant être emplis de vide pour fonctionner.
En cette année 2025, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) a publié l’étude de faisabilité de la construction d’un nouvel accélérateur de particules géant, appelé Futur collisionneur circulaire (FCC). Cet accélérateur mesurerait de 80 à 100 kilomètres de circonférence et serait donc au moins trois fois plus grand que le plus grand accélérateur de particules du monde, nommé LHC, déjà construit sur le même site, à la frontière franco-suisse. Ce projet, par son gigantisme, soulève de nombreuses réserves, et ce jusque dans la communauté scientifique : certains estiment que les chances de nouvelles découvertes scientifiques apportées par cet accélérateur sont trop faibles en regard de son impact écologique.
Une des caractéristiques fondamentales d’un accélérateur de particules est qu’il fonctionne sous un très haut niveau de vide. Mais le LHC n’est pas la seule installation sous vide géante construite par l’être humain sur la planète.
Le vide, qu’est-ce que c’est ?
Le terme vide est employé dans la vie de tous les jours pour exprimer une absence ou un manque de matière. En réalité, même un espace qui nous paraît vide est empli de molécules gazeuses : une boîte de 1 m3 ne contenant aucun objet en apparence est en fait remplie d’environ 1029 molécules gazeuses, principalement de l’azote et de l’oxygène. Cette boite est, comme tout ce qui nous entoure, à une pression d’à peu près 101 325 Pascal (Pa), correspondant à la pression atmosphérique, aussi exprimée par l’unité 1 atmosphère.
En physique le vide caractérise un espace dans lequel le nombre de molécules gazeuses est raréfié par rapport à cette pression atmosphérique, ce qui se traduit par une plus faible pression que 1 atmosphère.
Le développement continu des technologies du vide depuis le XVIIème siècle a permis d’atteindre des niveaux de vide de plus en plus élevés – correspondant à des pressions de plus en plus basses – qui ont été classés en différentes catégories : descendre jusqu’à 10-1 Pa c’est réaliser un vide « primaire », jusqu’à 10-6 Pa c’est réaliser un vide « secondaire » ou « haut vide », jusqu’à 10-10 Pa « l’ultravide », et des pressions encore inférieures sont appelées « extrême vide ».
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Le vide est donc une notion relative : vivre sous 1 atm est une exception, étant donné que l’immense majorité de l’univers est en fait « sous vide ». Par exemple, sur la Lune, qui n’a pas d’atmosphère, la pression est inférieure à 10-8 Pa telle que l’a mesurée la mission Apollo 14 en 1971. Quelle que soit la région de l’espace considérée (interplanétaire, interstellaire ou intergalactique), le niveau de vide est si élevé qu’il est préférable de le quantifier non plus par des pressions en pascal mais par des densités de molécules par unité de volume. On estime ainsi qu’il n’y a que quelques molécules gazeuses par m³ dans l’espace intergalactique.
Le vide est un outil essentiel qui intervient dans la fabrication – voire qui est nécessaire au fonctionnement – d’un très grand nombre d’objets technologiques, trop nombreux pour être listés, tels que les imageurs infrarouge ou les cellules solaires. Il est indispensable à la réalisation des expériences dans certains des très grands instruments scientifiques tel que l’accélérateur de particules.
L’accélérateur de particules
Cet instrument permet d’accélérer à des vitesses relativistes (proches de celle de la lumière), à l’intérieur d’un ensemble de tubes, des particules atomiques telles que des électrons ou des protons, pour les faire se collisionner et étudier ainsi de quoi elles sont constituées, ou pour leur faire émettre des rayonnements ultrabrillants permettant ensuite de sonder la matière. Ces particules ne peuvent être manipulées efficacement et précisément que dans un environnement extrêmement contrôlé, et donc sans molécule de gaz. Le vide contribue aussi à protéger les composants de l’accélérateur de la dégradation.
Le réseau existant de tubes du LHC du CERN atteint une longueur totale de 104 km, maintenu selon les sections sous une pression allant de 10-4 Pa à 10-10 Pa. Pour ces dernières, cela signifie qu’elles contiennent au moins 1010 molécules par m3 – ce qui représente donc encore un grand nombre de molécules par rapport à celles que l’on trouve dans l’espace profond. Cette installation est enterrée à 100 m sous la terre. Le CERN espère construire un accélérateur encore plus grand, le FCC à partir de 2030, tandis que la Chine planifie aussi de construire son accélérateur géant dans les années à venir.
Un autre très grand instrument scientifique est aussi basé sur de longues sections de tubes sous vide : c’est le détecteur d’ondes gravitationnelles.
Le détecteur d’ondes gravitationnelles
La détection d’ondes gravitationnelles – ces infimes perturbations de l’espace-temps – est notamment réalisée dans quatre détecteurs géants construits en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le principe de détection repose sur la mesure des déviations du trajet rectiligne d’un laser. Ce dernier circule dans des tubes maintenus à 10-7 Pa. Le vide élimine toute source de perturbations du rayonnement laser, et le stabilise : il supprime les obstacles constitués par les molécules de gaz, il contribue à éliminer les vibrations soniques et thermiques. Enfin, il protège les instruments de la contamination particulaire.
Le plus grand des détecteurs d’ondes gravitationnelles est actuellement le LIGO aux États-Unis dans l’état de Washington, avec 8 km de tube représentant 1 200 m³ de volume. Un plus grand encore devrait entrer en construction à partir de 2028 en Europe, nommé Einstein Telescope, dont la longueur totale de tube sous vide approcherait 120 km environ – soit plus que le LHC !
Le tokamak
Un tokamak est la pièce principale d’un réacteur de fusion nucléaire, qui promet une nouvelle source d’énergie dans un horizon encore lointain. Il s’agit d’un tore (forme géométrique ressemblant à celle d’un donut) dans lequel est généré un plasma dont la température atteint celle régnant au cœur des étoiles – soit une température extrême de plusieurs dizaines de millions de degrés ! Obtenir et maintenir de telles températures nécessite une excellente isolation thermique, qui est assurée par le vide.
Le plus grand tokamak du monde est en cours d’assemblage sur le site d’ITER (réacteur thermonucléaire expérimental international) dans les Bouches-du-Rhône. Le volume des parties sous vide avoisine les 10 000 m3, qui seront sous une pression inférieure ou égale à 10-4 Pa.
Enfin, un autre type de chambre à vide permet de reproduire des températures régnant dans l’espace : la chambre de simulation spatiale.
La chambre de simulation spatiale
La principale source de dommages affectant les composants d’un véhicule spatial est le rayonnement solaire, car ce dernier n’est plus filtré par l’atmosphère terrestre. Pour tester au sol la tenue thermique d’un équipement avant de l’envoyer dans l’espace, des chambres à vide dites de « simulation spatiale » ont été construites. Celle du Space Environments Complex de la NASA située dans l’État de l’Ohio est la plus grande installation sous vide du monde par son volume : plus de 22 000 m3. Les objets placés à l’intérieur sont soumis à des cycles de température pouvant aller de -160 °C à 80 °C, sous une pression inférieure à 5×10-4 Pa.
La revue de ces très grands instruments scientifiques a donné un panorama des principales fonctions technologiques du vide, qui peuvent être classées en deux catégories : faire circuler des objets (des particules atomiques, de la lumière, et peut-être des êtres humains) ou reproduire à la surface terrestre un environnement spatial.
Sylvain Lemettre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Auteur : Sylvain Lemettre, Ingénieur-chercheur en physique du vide, Université Paris-Saclay
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