Une nouvelle méthode pour évaluer l’élévation du niveau de la mer
Comment évaluer l’élévation du niveau de la mer ? Il s’agit d’une information cruciale pour les décideurs, qui ont besoin de projections fiables pour protéger les populations et les écosystèmes. Une nouvelle méthode permet de les affiner, en prenant en compte les effets de la fonte des calottes polaires, dont les dynamiques restent mal connues.
C’est un constat déprimant : au cours des prochaines décennies, l’élévation du niveau de la mer continuera à menacer les écosystèmes, les populations et les villes. Quelle que soit la rapidité avec laquelle nous réduisons nos émissions de CO2, les gaz à effet de serre déjà émis contribueront à poursuivre l’élévation du niveau de la mer, compte tenu de l’impact à long terme du réchauffement climatique sur les océans et les calottes polaires. Néanmoins, la situation peut encore s’aggraver plus ou moins, en fonction de nos émissions actuelles et futures.
Même si nous nous efforçons d’atteindre la neutralité carbone, nous devons nous préparer à des éventualités désastreuses. Mais les dirigeants sont confrontés à un obstacle majeur : le rythme et l’ampleur de l’élévation future du niveau de la mer sont très incertains. Différentes méthodes produisent des projections différentes à long terme. Les difficultés à concilier ces différentes méthodes et prévisions empêchent de planifier efficacement la protection des populations face à ce risque.
Dans un récent article publié dans la revue Earth’s Future, nos collègues et nous-mêmes nous attaquons à ce problème. Nous proposons une nouvelle méthode qui combine les avantages de différentes projections du niveau de la mer. Elle permet de quantifier l’incertitude de son élévation future et d’estimer une fourchette considérée comme « très probable ». Cela signifie qu’il y a 9 chances sur 10 l’élévation future se situe dans cette fourchette, en prenant comme hypothèse nos émissions suivent un scénario d’émissions donné.
Dans un scénario de faibles émissions, ce qui correspond à un réchauffement du climat d’environ 2 °C par rapport aux températures préindustrielles, le niveau mondial des mers s’élèvera « très probablement » de 0,3 à 1,0 m d’ici la fin du siècle. Dans un scénario de fortes émissions correspondant à un réchauffement d’environ 5 °C, le niveau de la mer s’élèvera « très probablement » de 0,5 à 1,9 m.
Étant donné que nous dépasserons probablement un réchauffement de 2 °C, il est donc nécessaire de se préparer à une élévation du niveau de la mer de plus d’un mètre d’ici à 2100.

Benjamin P. Horton et Benjamin S. Grandey, CC BY-ND
Mieux comprendre les dynamiques des calottes de glace
Notre méthode s’appuie et prolonge le document de référence actuel de nombreux décideurs : le sixième rapport d’évaluation du GIEC. Pour cinq scénarios d’émissions, le GIEC a publié une projection « médiane » la plus vraisemblable et une fourchette d’élévation du niveau de la mer « probable » – ce qui signifie qu’il y a au moins deux chances sur trois que le niveau de la mer augmente dans ces proportions.
Cet intervalle « probable » peut toutefois sous-estimer certains risques extrêmes, ce qui peut être corrigé à l’aide d’un autre indicateur complémentaire, l’élévation « très probable » (9 chances sur 10).
Cependant, le GIEC n’a pas estimé de fourchette « très probable », parce que les processus qui régissent les calottes polaires sont mal compris. Nous nous sommes attaqués à ce défi afin de fournir aux décideurs des estimations plus fiables des possibilités futures.
De nombreux processus contribuent à l’élévation du niveau de la mer. Ceux liés aux calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique sont particulièrement importants, et si certains sont bien compris, d’autres moins. Nous n’avons qu’une compréhension limitée des processus qui pourraient entraîner une fonte brutale de la glace, produisant une élévation rapide du niveau de la mer.
Les modèles climatiques et les modèles de calottes glaciaires, tels que ceux utilisés dans le 6e rapport du GIEC, sont très efficaces pour simuler des processus bien compris, tels que la dilatation thermique de l’océan. Ceci a permis d’obtenir une projection médiane fiable et une fourchette « probable » d’élévation du niveau de la mer.
Toutefois, ces modèles négligent souvent des processus mal compris qui pourraient entraîner la fonte des calottes polaires beaucoup plus rapidement que prévu. Pour compléter les modèles, des experts peuvent fournir des projections alternatives basées sur leur propre compréhension de ces processus. Ce processus par lequel on cherche à opérer une synthèse des avis d’experts s’appelle l’élicitation d’ experts.
Le recours à d’autres modèles et à l’élicitation d’experts peuvent fournir des projections complémentaires du niveau de la mer, mais les décideurs ont beaucoup de mal à décider où et quand appliquer l’une ou l’autre de ces deux approches.
Dans notre article, nous avons développé une nouvelle méthode pour les combiner. Notre méthode a permis de quantifier toute la plage d’incertitude de l’élévation future du niveau de la mer à l’aide d’une distribution de probabilités. C’est ainsi que nous avons pu proposer une fourchette d’élévation « très probable » du niveau de la mer et répondre à la question : à quelle élévation du niveau de la mer devons-nous nous attendre ?
La « fourchette haute » des projections
Pour prendre des décisions éclairées, les décideurs ont besoin d’informations sur des situations peu probables mais très coûteuses. Une projection portant sur la « fourchette haute » de l’élévation du niveau de la mer est donc particulièrement utile pour planifier la construction des infrastructures critiques à long terme, essentielles au fonctionnement de la société et de l’économie. Cela peut également mettre en évidence un risque de catastrophe associé à des émissions de dioxyde de carbone non maîtrisées.
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Nous définissons cette « fourchette haute » comme le 95e centile de la distribution de probabilité dans le cadre du scénario à fortes émissions. Elle prévoit une élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale est de 1,9 m d’ici la fin du siècle.
Celle-ci complète les projections actuelles les plus pessimistes sur l’élévation du niveau de la mer au XXIe siècle. Le 6e rapport du GIEC en comprend deux : 1,6 m et 2,3 m. Notre projection de 1,9 m se situe entre ces deux valeurs.
Contrairement au 6e rapport du GIEC, nous avons également estimé la probabilité d’atteindre cette situation : si nos émissions futures suivent le scénario de fortes émissions, nous avons 5 % d’atteindre 1,9 m d’ici la fin du siècle. Étant donné que le scénario de fortes émissions est peu probable, notre projection la plus élevée peut être interprétée comme le pire des cas envisageables.
Nous estimons également la probabilité de dépasser 1,0 m d’ici la fin du siècle à 16 % dans le cadre du scénario à fortes émissions, et à 4 % dans le cadre du scénario à faibles émissions.
Réduire l’incertitude
Grâce aux sciences du climat, nous avons beaucoup appris sur le système climatique de la Terre, mais il nous reste encore beaucoup à découvrir. Au fur et à mesure que nos connaissances s’améliorent, l’incertitude sur l’élévation du niveau de la mer devrait diminuer. Par conséquent, la fourchette « très probable » de l’élévation future du niveau de la mer devrait s’affiner, grâce aux efforts de recherche continus de la communauté scientifique.
Entre-temps, nous devons identifier des solutions permettant de réduire les risques d’inondation côtière. L’enjeu est double : favoriser la résilience et la durabilité à long terme des populations et de l’environnement d’une part, et d’autre part réduire les coûts économiques associés aux dommages causés par les inondations. Parallèlement à l’adaptation locale, le meilleur moyen d’atténuer l’élévation du niveau de la mer est de ralentir le changement climatique en mettant en œuvre les engagements énoncés dans l’accord de Paris en 2015.
Si nous parvenons à limiter le réchauffement à un niveau nettement inférieur à 2 °C, conformément à l’accord, nous estimons que la probabilité d’atteindre 1,9 m d’ici la fin du siècle tombe à moins de 0,2 %. Plus nous limiterons les émissions de gaz à effet de serre, plus le risque de déclencher une fonte rapide des glaces du Groenland et de l’Antarctique sera faible, et plus nous serons en sécurité.
Créé en 2007, le Axa Research Fund soutient plus de 500 projets, menés par des chercheurs de 51 pays. Pour en savoir plus sur les travaux d’Alberto Cardaci, visitez son site ainsi que la page dédiée du Axa Research Fund.
Benjamin P. Horton a bénéficié du soutien du Fonds de recherche académique du ministère de l'Éducation de Singapour : MOE2019-T3-1-004.
Les recherches de Benjamin S. Grandey sont soutenues par la Fondation nationale de la recherche de Singapour et l'Agence nationale de l'environnement de Singapour dans le cadre de l'initiative de financement du programme national sur le niveau de la mer (prix n° USS-IF-2020-3).
Auteur : Benjamin P. Horton, Director of the Earth Observatory of Singapore, Nanyang Technological University
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